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mardi 1 novembre 2011

Les rêves de Majda

Majda Chamkhi
Je retourne à Erriadh, dans la banlieue sud de Tunis, chez la famille Chamkhi qui m'avait accueillie cet été. J'ai rendez-vous avec Majda, militante au RAID (Rassemblement pour une Alternative Internationale de Développement) tout comme son mari Fathi Chamkhi qui est le porte parole de l'association et actuellement en Egypte pour renforcer le réseau CADTM. Majda a participé à la constitution de Mahdia qui a donné lieu à la liste Doustourna. Pourtant elle a préféré voter pour la liste présentée par le CPR (Congrès pour la République) : "Ils nous ont soutenu durant notre campagne pour l'annulation de la dette. Ils sont honnêtes, ils ont fait leur campagne proprement. Tout comme Hammami [PCOT], et contrairement à Ennahda, ils n'ont pas voté pour le "plan jasmin" qui, avec une politique très libérale, entend continuer le même modèle économique que l'ancien régime... Espérons que le CPR restera sur ses principes. Mais si ça continue comme maintenant, il n'y aura pas de solution pour la pauvreté et le chômage..." 
Erriadh est tout près de Ben Arous
Majda est institutrice dans une école de Slimène tout près d'Erriadh. Elle a naturellement accepté la présidence du bureau de vote installé dans son école. Bien qu'elle avoue que cette responsabilité l'a beaucoup stressée, Majda a accepté sa mission avec bonheur : " Je l'ai fait avec beaucoup d'amour, pour la révolution, pour le pays...". La veille des élections, comme pour tous les bureaux de vote, elle avait reçu trois urnes et  mille bulletins dont l'intégralité devait être retournée, le tout mis en sécurité dans une salle de l'école fermée à clé. Le jour J : "A 6h50 on a ouvert la porte et à 7h00 il y avait déjà des gens... Et à partir de ce moment-là, on n'a pas arrêté! Il y avait tout le temps du monde. Sur 899 inscrits, j'ai trouvé 822 bulletins! C'était incroyable. En tant que responsable je ne pouvais pas quitter la salle. J'ai mangé un sandwich à 17h00. On a terminé à 4h00 du matin!" se remémore avec joie la présidente du bureau. "Mais j'ai senti la démocratie, la liberté d'expression, c'était du travail propre. Des femmes me disaient qu'elles ne comprenaient rien. Le mari de l'une d'elles voulait même rentrer avec sa femme dans l'isoloir pour qu'elle vote Ennahda! Je leur disais : tu es libre maintenant et responsable de tes choix!". Même si Majda est mécontente du résultat final, "il faut accepter ce qu'a choisi le peuple tunisien". Mais elle reste inquiète par le programme d'Ennahda : "Ils veulent garder le Ministre des finances qui pratique la politique économique de ben Ali à la lettre! Ce qui est dangereux c'est leur engagement économique, politique et social mais ils ne vont pas oser changer quelque chose car ils ont d'autres personnes à côté d'eux pour la constitution..." Mais ce qui inquiète encore plus Majda est son statut de femme dans la société tunisienne et la peur de subir le même sort que les femmes des autres pays arabes. "S'ils font pareil, je crée une association de femmes... Je serais même prête à les tuer!" dit-elle avec toute la colère de quelqu'un face à l'injustice. Elle poursuit : "Parfois cela me tourmente car Ghannouchi parle d'un verset du coran sur la polygamie "à condition que vous soyez juste envers toutes vos femmes". Mais c'est impossible pour n'importe quel être humain. Personne ne veut partager son amour! Et je suis sûre que le bon Dieu ne veut pas être mauvais envers la femme! Je connais une femme qui a passé deux jours à pleurer tellement elle avait peur de la polygamie. Beaucoup d'hommes ont envie de ça. Ils ont déjà leur maitresse, cela pourrait rendre légitime leur histoire d'adultère..." Mais Majda, comme beaucoup d'autres femmes tunisiennes, n'est pas prête à se laisser faire : "Chez des amis, j'ai dit : si vous avez droit à 4 femmes, alors nous aussi on a droit à 4 hommes!!!". Elle évoque ensuite un reportage vu à la télé sur des femmes égyptiennes dans des mariages polygames, avec "la tristesse inscrite sur leur visage..." Majda pense que les femmes tunisiennes n'accepteront jamais cela : "Après cette liberté, on n'acceptera pas la polygamie. On est fières. Si on leur impose cela, les femmes tunisiennes seront prêtes à tuer leur mari ou alors on sortira avec plusieurs hommes pour se venger! Même si les femmes simples vont accepter au nom de la religion et de la peur de l'enfer, je pense qu'une femme qui aime un homme ne veut pas le partager et vice versa."
Majda revient sur la stratégie du parti islamiste : "Aujourd'hui, ils n'ont pas intérêt à imposer la polygamie mais si un jour Ennahda est majoritaire... D'un côté Ghannouchi veut suivre l'exemple de la Turquie, de l'autre il veut donner le visa au parti extrémiste Tahrir." Le salut dépendra du peuple tunisien : "La société civile doit rester éveillée. Il ne faut pas lâcher prise. Maintenant commence le vrai travail pour sensibiliser les gens!"
La chicha - juillet 2011
Avant la révolution, Majda était particulièrement attachée à la cause palestinienne : "Je me demandais si je vivrais pour voir la paix en Palestine." Maintenant que la révolution a eu lieu en Tunisie, elle a redonné l'espoir dans tout le monde arabe : "Maintenant j'y crois à la paix en Palestine... Et j'ai beaucoup d'espoir pour toute l'humanité..." Le simple fait d'évoquer enfin cet espoir renaissant s'avère très émouvant pour Majda dont l'émotion me touche également... Elle confie : "Après la révolution, je me suis mise à écrire des articles sur Facebook, j'ai même fait un blog. Mon premier article était intitulé "La Palestine est dans mon sang". J'ai aussi fait quelques essais sur mes rêves...
Majda fait partie de l'association "El Tael", dont le Président est Nelson Mandela. "On y fait de la poésie, on raconte nos histoires, on avait même ouvert un espace pour les opposants. L'association va éditer un recueil de textes et à cette occasion on m'a demandé d'écrire quels étaient mes rêves."
Majda réfléchit et me fait part de ses trois rêves :
"Le premier était :
- La souveraineté de la Tunisie dans la continuité de la révolution.
Le deuxième rêve :
- La protection de l'enfance (contre le mariage précoce, le tourisme sexuel, la pédophilie... Dans les pays arabes on marie parfois des filles de 8-10 ans!)
et le troisième rêve, le plus simple et le plus difficile :
- Que la paix soit sur le monde... "
J'espère sincèrement que ces rêves deviendront réalité...

Majda termine par cette réflexion terrible qui en dit long sur l'impact de la révolution tunisienne dans la vie des gens : " C'est la révolution qui nous donne l'espoir pour vivre. Avant la révolution, nous étions des morts-vivants..."

Dans le train de la banlieue sud, d'Erriadh à Tunis

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