Après avoir acheté une viennoiserie à la pâtisserie Ben Yedder, où j'ai eu l'occasion de manger l'un de mes meilleurs macarons aux amandes en plus des gâteaux délicieux orientaux, je retrouve Khouloud au Café du Théâtre. J'aimerais qu'elle me parle de son parcours de jeune étudiante militante à l'UGET, en regard de la révolution. Comme beaucoup de jeunes, Khouloud a pratiqué très tôt le réseau Facebook et a été confrontée aussitôt à la censure. "Ça a commencé en 2009 avec les élections. Ils ont censuré des comptes Facebook mais on utilisait le proxis." Je lui demande en quoi cela consiste : "Le gouvernement cherche ton adresse I.P. pour te censurer... C'est le logiciel qui permet de te connecter sans que personne ne voit ton adresse I.P.". Dès sa majorité, à 18 ans, Khouloud crée son premier compte Facebook. En 2008, il est piraté... Difficile de savoir par qui, surtout lorsque l'usurpateur, actif sous ton nom et sur ta propre page, qui bénéficie en outre de tous les contacts de tes amis FB, te répond par des messages à connotation pornographique... La même année ont lieu les événements du bassin minier de Gafsa : "J'en avais marre, tout était censuré! Alors on s'envoyait des CD avec les vidéos des grèves dans le bassin minier. Je disais à mes amis : regardez ce qu'il se passe, et vous, vous ne bougez pas! Mes amis s'étonnaient : pourquoi ils ne passent pas cela à la télé? Je leur répondais : Mais tu crois qu'on est en démocratie???".
Après les émeutes de Gafsa, un barrage situé à la frontière algérienne a été ouvert. Normalement, les autorités préviennent la population, mais cette fois-ci, ils n'ont rien dit et on laissé faire la nature m'explique Khouloud... Punition de la part des autorités? On appelle cela crime par omission. Car les inondations causent la mort de plusieurs personnes et dévastent la zone, saccageant les maisons et les infrastructures déjà fragiles. "Une maison construite au-dessus d'une galerie minière a été aspirée par l'eau!" Moins d'un an après la terrible répression policière qui a fait plusieurs morts, arrestations, emprisonnements etc. les inondations achèvent d'un terrible coup cette population pauvre, exploitée et... légitimement révoltée! Khouloud se rend dans la région avec ses proches qui en sont originaires, afin de constater les dégâts. "Les petites villes étaient encerclées de flics, à chaque passage tu devais montrer tes papiers. Sur le trajet ils m'ont arrêtée 7 fois!" Peu de temps après, à Monastir où vit alors la jeune fille, un nouveau drame survient. "Un jeune homme marié avec deux enfants avait un petit kiosque où il vendait des bricks. La municipalité lui a retiré son kiosque en lui disant qu'ils lui rendraient avec une autorisation. Durant un mois il a attendu, allant chaque jour à la mairie, demandant même à voir le maire - ce qui lui a été refusé - il a même emmené ses enfants en disant : au moins nourrissez-les... Mais les gens de la mairie ont rigolé. Il est alors revenu et s'est immolé. On a fait une grande manif pour l'enterrement, on a même saccagé le bâtiment administratif. Sur Facebook, j'ai fait passer des messages pour aider la famille, j'ai mis des photos du mouvement, des blogueurs ont écrit sur lui, mais ça n'a rien fait... Ça passait inaperçu. Certaines personnes disaient que cet homme était juste dérangé, ce qui est totalement faux." Après cette immolation à Monastir, une autre immolation survient, à Sidi Bouzid, celle de Mohammed Bouazizi, mais qui prendra une autre ampleur, que l'on connait... Et la vague de la révolte déferle sur la Tunisie. "Monastir et Djerba ont été les dernières à sortir manifester. La première manif à Monastir a été... le 13 janvier! [ la veille du jour de la fuite de Ben Ali, nda] Puis retour au calme. J'ai pris mon sac pour aller à Tunis mais ma mère m'en a empêchée, elle a eu peur pour moi..."
Khouloud vit la révolution comme tous les tunisiens, sans savoir ce qu'il va se passer : "Après le 14 janvier, il y a eu des journées horribles. C'étaient les premiers couvre-feux, il y avait des militaires partout et on entendait les balles tirées en l'air. Ça faisait vraiment peur! La première nuit, avec ma famille, on était tous sur les nerfs. Pour aller aux toilettes, je devais passer par un couloir qui donnait sur la rue où l'on entendait les balles. J'avais très peur, on se croyait en pleine guerre! Des amis m'ont dit qu'ils avaient trouvé une voiture remplie de grenades. On ne savait pas qu'en Tunisie il y avait autant d'armes!" Une semaine après le 14 janvier, Khouloud monte enfin à Tunis où se tient une manifestation contre le RCD. Dans cette période transitoire, même si Ben Ali s'est enfui, ses gens sont toujours au pouvoir : "J'étais fière du peuple tunisien. J'avais les larmes aux yeux... Il y avait une telle solidarité!" se remémore t-elle. Obligée de rentrer chez elle à Monastir, Khouloud ne pourra pas participer à la manifestation appelée Kasbah 1 mais elle sera présente au sit-in de Kasbah 2 : "J'en rêvais depuis longtemps... A 8h30, je passais des examens ensuite j'allais à la Kasbah, puis je retournais passer des examens etc. Finalement, je n'ai pas eu mon année... Mais c'était unique de pouvoir vivre une révolution!
L'héritage familial de Khouloud, côté politique, se situe dans le PCOT, le parti communiste tunisien dont les membres ont beaucoup souffert sous la dictature. Pourtant elle a davantage milité dans des associations comme l'ATFD ou la LTDH pour lesquelles elle a été observatrice durant les élections. "Avant les élections, j'essayais de sensibiliser les gens à lire les programmes [voir billet]. Sur Facebook, c'était la guerre, on s'engueulait avec ceux qui étaient pour Ennahda." Mais lorsque Khouloud endosse sa casquette d'observatrice, elle prend sa mission au sérieux : "C'est très intéressant. Tu vas voir tous les partis durant leur réunion pour vérifier s'il y a des dépassements. Par exemple, ils ne doivent pas insulter les autres partis ni le gouvernement provisoire. Il y a eu un parti qui était contre l'égalité et a traité les femmes de l'ATDF de putes... Et ça c'est interdit. Moi j'ai observé et fait mon rapport..." Le bureau où Khouloud doit faire sa mission d'observatrice, à Monastir, comporte 66 listes, un peu moins qu'à Tunis. "J'ai commencé à 6h30 et je suis rentrée à 1h00 du matin. A 20h30 on a commencé les dépouillements. Quand ils ont vidé l'urne, j'ai senti mon coeur battre très fort. J'entendais à chaque dépouillement "Ennahda... Ennahda... Ennahda..." Sur 232 votants, Ennahda a obtenu 97 voix, l'Initiative une cinquantaine et le CPR 24 voix. Le PCOT n'en a eu que 3... Je savais qu'Ennahda allait gagner mais je pensais que ce serait plutôt à 25-30%, pas à 40%!"
Comme beaucoup de tunisiens et de tunisiennes ce jour-là, Khouloud a découvert à travers les élections l'autre partie de la Tunisie.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire