Toutes les photos et les textes de ce blog sont soumis aux droits d'auteur. Cela signifie qu'il est INTERDIT DE TELECHARGER ET DIFFUSER LES PHOTOGRAPHIES DE CE SITE SANS L'AUTORISATION DE L'AUTEURE SOUS PEINE DE POURSUITES JUDICIAIRES. Pour toute reproduction totale ou partielle, vous devez contacter l'auteure ici.
Pour lire les billets dans l'ordre chronologique ou par thématique, se reporter aux rubriques "Archivages" en bas de page.
Vous pouvez également vous abonner aux mises à jour du blog en entrant votre adresse électronique dans la rubrique Suivre les mises à jour tout en bas de la page.

mardi 1 novembre 2011

Le savoir comme outil de lutte

Au café de l'Univers on a toujours débattu des idées...
Mardi... Le temps s'améliore mais les inondations ont ralenti les transports en commun dont les infrastructures sont peu développées. Je retrouve Fedia et Khouloud au café de l'Univers. Les nouvelles sont tristes. Hier des professeurs ont fait une grève de deux heures pour soutenir une enseignante agressée verbalement par ses élèves durant son cours parce qu'elle portait une jupe. Fedia et Khouloud sont très alarmées par cet incident. Elles pensent que c'est la victoire d'Ennahda qui a conduit certains jeunes à tendance islamiste à intimider cette enseignante. Je repense à ce que me disait il y a quelques jours Meriem Zeghidi : "Les islamistes ne vont pas toucher aux textes de loi, mais ils vont intimider les femmes dans leur quotidien...". Les deux jeunes femmes ont vraiment peur que la morale islamiste se propage en Tunisie et atteigne la liberté des femmes suite à la victoire d'Ennahda. Elles évoquent d'autres incidents survenus ces derniers temps. Concernant la sphère culturelle et artistique par exemple : " Le 14 octobre dernier, il y a eu une inauguration à Tunis dans le centre culturel pour fêter les 9 mois de la révolution. Une sculpture créée pour l’occasion était sur place dans son emballage. Lorsqu'on a enlevé le plastique, le public a découvert la statue d'une femme enceinte dont des personnages sortaient du ventre, symbolisant la Tunisie accouchant de la révolution." Cette sculpture métaphorique au style davantage cubiste que classique et d'un réalisme tout relatif n'a pas plu à tout le monde. "Ses seins étaient nus. Des gens ont commencé à crier au scandale, des "barbus", selon Fedia qui a vu les événements, et au bout de 30 minutes, la police est intervenue afin de reléguer cette créature à l'abri des regards..." Mais les artistes n'ont pas apprécié cette censure déplacée : "Il y a deux jours elle est réapparue sur l'avenue Bourguiba et une vidéo a été tournée et postée sur Facebook". Les deux amies évoquent un autre incident : Suite à la projection organisée par le collectif d'associations "Lamcham" du film Laïcité inch'Allah de Nadia El Fani, la salle de cinéma Africart a été saccagée par des extrémistes". Et pour compléter l'influence des islamistes sur la société tunisienne, les deux jeunes filles m'informent qu'une boite de nuit connue près de Tunis a été fermée vendredi dernier "sous prétexte qu'ils vendent de l'alcool sans licence alors qu'ils le font depuis des années!".
Entre temps, Vincent le français a rejoins notre table. Il vient de lire dans Libération un article intéressant sur les élections en Tunisie. Jusqu'à présent l'ISIE avait annoncé avec fierté un taux de vote de 75% des tunisiens inscrits sur les listes électorales. Or ces inscrits sont loin de représenter toute la population en âge de voter. Jusqu'à présent, personne n'avait annoncé les pourcentages réels de vote par rapport à la population totale. Ce qui relativise pas mal la "victoire" d'Ennahda. Nous discutons alors de ces chiffres : 40% de voix pour Ennahda sur 60% de la population totale en âge de voter, cela fait grosso modo 25 à 30% de la population tunisienne ayant voté pour Ennahda... Je ne sais pas si ces chiffres rassurent vraiment les deux jeunes militantes...
Taquin, Vincent dit à Fedia : "Grâce à cette victoire du parti islamiste, tu vas enfin retrouver ta combativité!". Fedia rigole : oui, elle se sent moins déprimée que durant la campagne des élections où l'inégalité de moyens entre les partis lui pesait... Et comme pour prouver ce regain d'énergie combative, elle sort de son sac un petit livre écrit en arabe. Il s'agit du Code du Statut personnel, qu'elle a acheté il y a quelques années et qu'elle ressort aujourd'hui. "Pour me remémorer les textes, les apprendre et pouvoir répliquer aux islamistes. Il faut faire la différence entre l'application et les textes réels. Vérifier ce que disent les leaders islamistes par rapport au code et savoir s'ils enfreignent la loi." Se référer à la loi est un acte de résistance civique... 
Le Code du Statut personnel a été mis en place par le président Bourguiba en 1956
Fedia et Khouloud discutent entre elles, elles cherchent le texte se référant à la Kafala et à l'adoption tous deux autorisés par le CSP (fait apparemment unique pour un pays musulman) mais remis en cause dernièrement par le leader Ghannouchi. Une discussion s'ensuit. Même si au premier abord, ce "détail" semble anodin, l'interdiction de l'adoption et son remplacement par la kafala vont marginaliser la femme stérile qui ne pourra jamais fonder une vraie famille avec son mari puisque la transmission du nom et de l'héritage ne sont pas autorisés dans cette pratique issue du Coran.
Vincent rajoute d'un ton ironique : "Ce sera une bonne excuse pour autoriser la polygamie, si la femme est stérile, ça deviendra légitime d'en prendre une deuxième pour faire des enfants..." Nous rigolons sur le fait que beaucoup d'hommes, même occidentaux, ne diraient pas non au vieux fantasme de la polygamie... Mais cela nous laisse songeurs... 

On commence à grignoter sur des idées en apparence apolitiques et anodines (qui se soucie de cette minorité que représentent les femmes stériles?) mais qui néanmoins touchent plus ou moins directement à la place des femmes dans la société... Mais la question que je me pose est la suivante : Au final, en quoi l'adoption peut-elle gêner certaines personnes?

Que l'on aborde les choses sous un angle microscopique ou au contraire macroscopique, la jeunesse révolutionnaire semble enfin reprendre la lutte : "Le 11 novembre est la journée internationale des indignés. On ne sait pas si cet événement va mobiliser les tunisiens mais on va travailler à ce mouvement pour organiser un rassemblement devant la Bourse tunisienne..." annonce Fedia, une petite lueur dans les yeux.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire