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mercredi 26 octobre 2011

Elections : Observatoire du genre… humain


A 10h00 je retrouve Hend au désormais fameux et incontournable Café de l’Univers. La jeune femme de 21 ans est déçue des résultats du vote. Nerveuse et contenant difficilement sa colère, elle dit avec toute la fougue de sa jeunesse : « Je suis trop énervée, trop déçue… Si ça va mal ici, je me casse en Turquie. Ma grand-mère maternelle est kurde… ». Hend vient d’une famille communiste et bien qu’elle se dise elle-même anarchiste, elle a voté pour la liste communiste Wataniyoun Dimokratioun qui a obtenu deux sièges me dit-elle. Mais cette jeune tunisoise milite beaucoup dans les associations : à l’AFTURD (Association des Femmes Tunisiennes pour la Recherche et le Developpement), à la Ligue des Droits de l’Homme ; elle a également milité pour Amnesty International.
Hend a été observatrice à Sfax durant ces élections pour l’Observatoire du genre mis en place par l’ATFD, le GCI (Gender Conserns  International) et la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme. Elle fait partie des cinquante observatrices du genre sélectionnées par ces associations. Selon elle, la participation des femmes a été importante : à hauteur de 39,89% des votant(e)s dans toute la Tunisie. Mais il y avait davantage de femmes âgées ou matures et d’adultes que de jeunes : « La jeunesse féminine n’a pas énormément participé ». Hend a vu certaines femmes complètement perdues et guidées par leur mari ou leur fils : « A Sfax, un homme barbu accompagnait sa femme qui portait le niqab, paniquée elle attendait que son mari lui dise où mettre la croix. ». La jeune tunisienne déplore l’analphabétisme et l’ignorance de beaucoup de femmes. « Je ne pensais pas qu’il y avait autant d’adultes analphabètes en Tunisie », constate-t-elle. « Dans les zones rurales il y a une seule école pour plusieurs villages et pas de moyens de transport. Les parents ont peur d’envoyer leur petite fille à l’école, la « peur du loup » est encore présente ». Je demande à Hend de préciser de quel"loup" elle parle, l’animal ou le métaphorique, c'est-à-dire l’homme avide de « manger » les petites filles. « Les deux » me répond-elle. Elle poursuit : « Hammami (le leader du PCOT nda) racontait lors d’un meeting qu’étant jeune, issu d’une famille pauvre, il vivait dans un village et n’avait pas de chaussures ; quand il pleuvait, il ne pouvait pas aller à l’école… Durant toutes ces années, Ben Ali ne s’est pas préoccupé des zones rurales… De plus notre éducation est faite sur de mauvaises bases : les méthodes pédagogiques n’existent pas, les manuels scolaires sont insipides, on n’apprend pas l’esprit critique, on te dit que tout va bien, que le Président est le meilleur du monde… A l’école aussi tu n’as pas le droit de critiquer le professeur même s’il se trompe. Il y a deux ans, lorsque je passais le bac, une prof de français a écrit sur le tableau "vedeo". Je lui ai dit « Madame, c’est "vidéo" ». Elle m’a dit « Quitte la classe ! »… Mais j’ai photographié le tableau ». Hend sort alors son téléphone portable avec lequel elle photographie régulièrement les erreurs de ses professeurs et me montre la photo d’un tableau noir rempli de signes blancs. A la fois amusée et fière de pouvoir montrer une preuve de ce qu’elle avance, elle me montre l’erreur qu’elle a relevé. C’est un cours de mathématiques, matière dans laquelle je ne suis moi-même pas très forte : je la crois sur parole.
Hend au Café de l'Univers
Nous revenons à ses observations concernant le vote. Elle estime que les femmes ont voté majoritairement pour Ennahda : « Elles sont toujours sous la tutelle de quelqu’un, soit le mari, soit la famille, soit l’état. Elles sont soumises et n’ont pas la même éducation que les hommes. Certaines sont frustrées sexuellement aussi, elles n’arrivent pas à se libérer, si elles ne se marient pas elles deviennent folles à cause de leurs délires sexuels. » Hend évoque la jalousie de certaines femmes envers celles qui sont davantage libérées. Excédée et en colère contre celles qui ont voté pour Ennahda, elle sait ce que signifie pour les femmes tunisiennes les risques induits par la montée en puissance d’un parti islamiste. « Ici, une femme ne peut pas fumer dans la rue. Moi je le fais. Et quand je marche dans la rue, des hommes me disent « Éteins ta cigarette! ». Hier soir, je marchais en fumant une cigarette et on m’a crié "Ennahda !", genre "les filles rentrez chez vous car Ennahda est là !"... Mais les femmes ont participé à la révolution ! Ce n’est pas une révolution islamique ! ». Portée par ses propos, la déception d’Hend se transforme en colère : « C’est bien fait pour la gauche, ils ne travaillent pas ! Ils restent au café à parler de théorie et ne sont pas assez proches du peuple ! ». Hend déplore également le fait que dans beaucoup de bureaux de vote des files hommes et femmes séparées se soient mises en place. Je lui demande d’où vient selon elle cette initiative : elle ne sait pas. À Sfax un homme lui a répondu « C’est les femmes qui ont décidé ». Quand je lui demande pourquoi à son avis Ennahda a fait un score aussi élevé, elle répond : « Dans les mois précédant les élections, Ennahda offrait des parfums, de la nourriture, des circoncisions, des mariages aux jeunes… Pendant le bac, ils offraient des bonbons, des chocolats, ils étaient toujours souriants.  D’où vient l’argent ? Pas de l’intérieur (du pays) en tous cas. Ils ont des locaux partout. A Montplaisir, ils ont un immeuble entier avec des ascenseurs, des secrétaires, des grooms… Ce parti arrive en février et il commence sa campagne… » Je lui demande que devrait faire la gauche selon elle : « Je crois que cette élite qui se prend pour Dieu doit s’organiser. Il faut avoir des bureaux dans chaque village, agir sur la précarité, l’éducation des femmes. C’est un travail d’organisation ». Il faut aussi de l’argent pour acheter un siège dans les villages etc… C’est un travail sur le long terme… »

Au café de l'Univers l''hispano-italienne Nieves discute avec
le français Vincent. Ici tout le monde se croise et se parle.
A ce moment, une dispute éclate à deux tables de nous. Un homme qui a l’air très énervé menace en arabe un autre homme. Je demande à Hend ce qu’il dit. Elle me répond qu’il attaque la chaîne Nesma qui a diffusé le film Persepolis. Je suis étonnée car on m’a dit que ce café était le rendez-vous de la gauche tunisienne. « Il y a beaucoup d’infiltrés qui viennent ici écouter ce qu’il se dit… ». Elle m’explique que suite à la manifestation des islamistes contre le film, la société civile a manifesté pour la liberté d’expression. D’ailleurs à ce moment-là arrive Yosra, une jeune femme qui a participé à cette manifestation : "Nous étions deux mille" dit-elle. Vincent qui était à la manifestation n'est pas d'accord sur le nombre qu'il estime inférieur. Il raconte qu'on a utilisé son image pour discréditer la manifestation en disant qu'elle était menée par un occidental, alors qu'il n'était qu'un observateur. Un homme se joint à notre table : Habib a voté pour Ettakatol (centre gauche). Pour lui la victoire d’Ennahda est un « vote sanction ». « La gauche est passée à côté du peuple…Il faut affronter le résultat en face… ». Yosra répond « Il faut travailler, aller de l’avant. Mais c’est vrai qu’on a eu des obstacles… ». S’ensuit une discussion entre les deux tunisiens qui semblent en désaccord…Une chose est sûre : la gauche tunisienne va devoir trouver un terrain d’entente.

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