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mardi 25 octobre 2011

Elections : après la gueule de bois


L’ambiance a changé... A l’hôtel où je réside depuis trois jours dans le centre de Tunis, les journalistes ont laissé la place aux touristes. Je ne les vois plus alignés sagement dans le hall, pianotant le nez sur leur portable, connectés à internet via la Wifi. Deux jours après les élections, ils sont partis couvrir d'autres événements dans le monde, laissant les tunisiens à leur destin...
Je téléphone à ceux que je connais : c’est la déprime, les résultats confirment un taux de vote de plus de 40 % pour Ennahda. La journée s'annonce encore maussade.


Dans le local de l'association, ne restent que les matelas des grévistes et quelques pancartes...

Vers midi je reçois un texto des italiens : les blessés de la révolution font une grève de la faim depuis une semaine pour réclamer des soins à l’hôpital. Lorsque j’arrive au local de l'association qui les accueille, les huit grévistes sont déjà dans les ambulances : ils ont obtenu ce qu’ils voulaient "un texte vient d’être voté" en ce sens me dit un jeune homme de l'association, l'air à la fois éprouvé et soulagé. Sur la place de la Kasbah d’autres blessés manifestent se mêlant avec les mères des martyrs « morts pour la révolution ». L'une d'elle brandit une photo de son fils tout en expliquant à une caméra de l'AFP (Agence Française de Presse) pourquoi en tant que mère d'un "martyr", elle soutient les autres blessés et mutilés qui ont fait la révolution sans recevoir aucune reconnaissance ni  dédommagement concernant des blessures très graves qui n'ont pas été soignées. Ici, les hôpitaux n'acceptent les blessés que s'ils payent à l'avance... "C'est aussi grâce à eux que les gens ont pu voter dimanche!"... La mère du jeune homme "mort pour la révolution" explique qu'après la mort de son fils elle a du quitter sa maison : veuve, elle ne pouvait plus subvenir à ses besoins. Au chagrin intense s'ajoute la situation économique précaire dans laquelle vivent une majorité de tunisiens. Tout en rendant un hommage à son fils, victime parmi les victimes anonymes de l'ultime répression de Ben Ali, cette femme a encore le courage et la force de soutenir ceux qui subissent dans leur chair meurtrie le manque de soins et de reconnaissance.
Une mère brandit l'image de son fils mort durant la révolution. Elle soutient les blessés de la révolution qui manifestent place de la Kasbah
Un homme tente d'expliquer à la caméra de l'AFP pourquoi il manifeste en tant que blessé de la révolution

En pensant à toutes les petites manifestations qui éclosent depuis la révolution, je me dis que le peuple tunisien a pris l’habitude de réclamer ses droits. Et ça c’est une grande avancée…

Le soir, je rejoins Fedia et ses amis au café. Le moral est au plus bas. Ils ne veulent pas parler de politique mais en même temps ils ne pensent qu'à ça. Ils hésitent à se rendre au Palais des Congrès où est réunie la presse et où les résultats doivent être annoncés au compte-goutte par l'ISIE (L'Instance Supérieure Indépendante pour les Élections). J'essaie néanmoins et sans grande conviction d'orienter la discussion vers la politique. L'ami de Fedia semble  plutôt blasé. Il me dit ne pas être étonné par le score d'Ennadha, prévisible. Selon lui, il n'y a pas lieu de s'inquiéter puisque "la gauche est majoritaire". Étonnée, je lui demande comment il définit la gauche. "Ici, la gauche et la droite c'est par rapport à Ennahda. Les islamistes sont à droite et le reste c'est à gauche" me répond  d'un ton assuré le jeune homme, étudiant ingénieur. Je lui demande s'il prend en compte l'aspect économique dans sa définition de la gauche et de la droite. Il me répond qu'en Tunisie "ça ne marche pas comme ça". Fedia n'est pas d'accord avec lui. Pour elle, la gauche et la droite se définissent par leur programme économique bien sur. Elle est pour une école publique tandis que son ami pense que les écoles doivent être toutes privatisées. Lorsque j'évoque les très bas salaires des travailleurs du tourisme alors que le tourisme rapporte de l'argent aux entreprises, notamment occidentales, il me répond que c'est mieux que rien du tout, "comparé à ceux qui n'ont pas de travail"... Je ne sais comment interpréter cela... Le jeune homme, qui ne veut pas dire pour qui il a voté même à sa petite-amie, essaie de relativiser le nombre de sièges acquis par Ennahda. Selon lui, il y aurait de toutes façons un pourcentage maximum de sièges par liste même celles qui ont fait un score très élevé... En réalité les gens ne savent pas exactement comment va se dérouler cette assemblée constituante ni quelles sont les règles exactes qui ont été définies...
Fedia est déçue par son peuple qu'elle semble soudain découvrir avec stupeur à travers ces élections. En me quittant elle me dit à quel point elle se sent seule dans son propre pays. Je tente de la réconforter mais je suis moi-même très peinée. Je me vois moi-même au lendemain de l'élection de 2002 lorsque Lepen était apparu au second tour à côté de Chirac. La même incompréhension mêlée de stupeur...

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