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lundi 25 juillet 2011

Les deux soeurs (Tebourba 2)

De gauche à droite : Loubna et Souad
Nous franchissons le seuil de la cour. Les murs annoncent les formations proposées par "L'académie TECH WIN" avec de jolies lettres peintes en arabe et en français. Informatique, langues vivantes etc... Dans les locaux, nous sommes accueillies par Souad qui nous amène des verres de jus de fruit rafraîchissant dans le bureau. Il est midi et il doit faire plus de 35 degrés dehors...

Chacune dans son fauteuil, Loubna et Souad, respectivement 30 et 34 ans, nous racontent leur parcours de combattantes pour créer leur propre entreprise de formation. 
Après des études de comptabilité, Loubna a travaillé dans des cabinets comme experte comptable. Sa soeur Souad, diplômée d'une Maîtrise en finance et commerce économique a suivi des stages dans des administrations étatiques. Toutes les deux voulaient déjà créer leur entreprise. "Rester 8 heures dans un bureau sans rien faire pendant 20 ans..." ce n'était pas pour elles. Mais au début, les parents ont peur de ce choix et tentent de les décourager tout comme leur frère. "Ils ont peur de la responsabilité qu'on a..."


Il y a aussi autre chose qu'elles ne diront pas immédiatement... Ce n'est que vers la fin de notre entretien que Souad ose évoquer le harcèlement sexuel "banal" qu'elles ont subi, comme beaucoup de femmes, au sein de leur travail. "Dans le travail, les collègues hommes ne t'aident pas. Avec la plupart des chefs d'entreprise que j'ai rencontrés c'était difficile : ils essaient de coucher avec toi, t'invitent à boire un verre chez eux, ils te draguent en continu. Ils savent que les tunisiennes veulent travailler... Il existe une loi sur le harcèlement sexuel mais personne ne fait de procès car les frères, la famille vont te dire que tu n'as qu'à rester à la maison..."
Le père des deux soeurs, ancien maçon indépendant, a fini par accepter le projet de ses filles. Aujourd'hui il les soutient et va même jusqu'à "leur rappeler leurs rendez-vous professionnels". Pourtant Souad et Loubna n'étaient pas au bout de leurs peines. Après avoir réalisé une étude de marché sur leur secteur, elles ont déposé un dossier d'aide auprès de la Banque Tunisienne de Solidarité. Le crédit d'aide aux jeunes est accepté mais elles se heurtent aux méandres de l'administration. "Quand tu veux avoir des papiers dans une administration, normalement c'est tout de suite, mais si tu es une femme, l'employé te regarde, il t'invite à boire un café etc... Si tu refuses, il te donne ton papier un mois après. A cause de cela on a préparé nos papiers toute une année..."
Maintenant qu'elles ont monté leur propre entreprise, elles ne subissent plus la pression sexuelle des chefs qui "draguent". Elles s'entendent à merveille pour mener leur entreprise comme deux soeurs mais surtout comme deux amies. "Si l'une de nous n'a pas envie de travailler, elle peut sortir aller boire un verre. C'est un contrat entre nous depuis le début". Pourtant les deux soeurs sont plutôt des bosseuses. Elles travaillent quasiment tous les jours, ne comptent pas leurs heures et adaptent régulièrement leurs offres. "Au début, on faisait juste l'informatique et le secrétariat, puis on a proposé des cours de français et d'anglais. Car on a remarqué que les employés tunisiens ne sont généralement pas bon en informatique et en langues. On a fait venir des profs qu'on embauche grâce aux contrats aidés par l'état à 50%. [ l'équivalent en France des emplois aidés. NDA] Ensuite, on a donné des cours de peinture sur soie, sur poterie et sur verre, pour un public essentiellement féminin. Ce sont des femmes qui veulent avoir de l'argent de poche en faisant du travail à domicile. Aujourd'hui on a arrêté ces cours et on travaille nous-mêmes la peinture sur objets pour les vendre. L'entreprise marche à 50% sur les cours et 50% sur la vente des foulards et poteries. On cherche le succès avant le profit."

Le choix d'être leur propre patronne, les deux sœurs en assument autant les avantages que les inconvénients. Et lorsque je les interroge à propos de leur situation amoureuse, elles répondent à l'unanimité qu'elles n'ont pas de mari : "c'est un choix!". Je n'ose pas aller plus loin dans mes questions car je sais que les relations hors-mariage sont très mal vues en Tunisie pour les filles. "On a pensé d'abord à réaliser notre projet professionnel avant le mariage. Les amies pensent d'abord à avoir un mari. Beaucoup de copines ont regretté d'avoir d'abord cherché le mari  car avec les enfants, c'est plus difficile après. Beaucoup ont des maîtrises et travaillent comme serveuses ou coiffeuses... En plus, il n'existait pas d'allocations chômage avant la révolution." Heureusement que la famille de Souad et Loubna est très présente. Elles logent chez leurs parents et le midi peuvent profiter du repas familial préparé par leur mère, femme au foyer. On pourrait presque parler d'une entreprise familiale! "On a pris le caractère de notre père", lequel avait son propre commerce de maçonnerie. Les deux frères travaillent eux aussi à leur compte sur les marchés. Seule la grande soeur est salariée dans une entreprise française et ... sous-traitante d'Airbus. Monika et moi expliquons notre étonnement "nous devons justement rencontrer demain une ouvrière qui travaille dans cette entreprise." Mais la grande soeur de Loubna et Souad ne travaille pas sur le même site que Sonia, notre jeune ouvrière. Il y a donc peu de chance qu'elles se connaissent. 

A suivre très bientôt...

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