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jeudi 21 juillet 2011

La délégation

L'UGTT du gouvernorat de Ben Arous, ville très populaire de la banlieue sud de Tunis, est située dans un bâtiment au style tunisien. Des carreaux de faïence à dominante bleue décorent la cour d'entrée. Au premier étage, le bureau du Secrétaire Régional est impressionnant de solennité : c'est le plus vaste des bureaux de l'UGTT. Décoré de grandes tentures bleues, il est agrémenté de trophées qui côtoient les portraits d'hommes importants.
La délégation du syndicat de LaTelec arrive en s'excusant du retard : ils sortent tout juste d'un rendez-vous avec leur directeur qui s'est prolongé, les relations sont tendues. Chacun(e) s'assoit sur les canapés en cuir autour de la table basse. On nous apporte du thé à la menthe. On se présente. LaTelec est une entreprise française implantée à Tunis, spécialisée dans le câblage aéronautique. C'est un sous-traitant d'Airbus dont le seul client est... Airbus (implanté à Toulouse). La délocalisation en Tunisie a d'énormes avantages pour les entreprises françaises lorsque l'on sait qu'ici le SMIC monte à peine à 150 euros par mois.


Disposée sur deux sites autour de Tunis, la société emploie essentiellement des ouvrières qualifiées, les "câbleuses" et des contrôleurs. Les ouvrières travaillent à la chaîne dans des ateliers. Bien que la majorité ait fait des études supérieures, elles sont payées au SMIC tunisien. Pour accéder à leur poste, en plus de l'entretien, elles ont passé un concours d'entrée, effectué une formation dans l'entreprise et doivent parler français. En échange elles ont une demie-heure pour manger le midi, des heures supplémentaires obligatoires, des congés aux dates imposées selon les besoins du client (Airbus) quand on leur permet d'avoir des vacances... "Le syndicat a été créé en février 2011 mais c'était prévu bien avant!" m'assure l'une des déléguées. La révolution, elle, n'était pas prévue... Dès la création du syndicat, les ouvrières se mettent en grève. Leur visage s'animent et leurs yeux pétillent lorsqu'elles parlent de cette première action syndicale qui fut aussi leur première victoire. "Après une grève de sept jours, on a obtenu une augmentation de 66 dinar brut (33 euros) par mois!" expliquent-elles le sourire aux lèvres. Il circule entre elles la conscience d'une fierté partagée, une émulation dans la détermination et une confiance réciproque. Ici, le mot sororité semble prendre tout son sens. Sur les 7 déléguées syndicales, seules deux sont des hommes. On m'explique que l'entreprise embauche une majorité de femmes, en général assez jeunes. La moyenne d'age est de 30-35 ans. "Parce que les femmes sont plus malléables..." glisse Issam, le seul délégué masculin présent.
Mais la révolution semble inquiéter les chefs d'entreprise. Monsieur Mselmi, le secrétaire régional de l'UGTT précise : "Après la grève, le directeur a senti que les choses le dépassaient et il a voulu faire un sondage d'opinion au sein de l'entreprise pour connaître l'état d'esprit des employé(e)s vis à vis de celle-ci." En réalité, les questions et réponses du QCM mettaient en cause insidieusement l'existence du syndicat. Ce dernier a refusé de laisser faire.

De gauche à droite : Sonia, Aranssia, Mr Mselmi, Nahali, Monia, Issam et Rim
Sonia, la représentante du syndicat de La Telec et qui est à la base de sa création, était restée discrète jusqu'à présent. Elle s'anime alors pour raconter son combat avec le directeur. "Sonia a risqué son poste" assure Mohammed Mselmi. Suspendue de son travail durant deux semaines (non payées) puis mise en quarantaine pendant deux mois pour l'éloigner de ses collègues, elle est menacée de passer devant le conseil de discipline jusqu'à ce que la pression de l'UGTT permette l'annulation de celui-ci et sa réhabilitation à son poste. Tout cela pour avoir "osé" en tant que déléguée syndicale, porter la voix de ses collègues devant le directeur (français) pour s'opposer à la diffusion d'un questionnaire. Elle sort d'ailleurs de son sac le fameux questionnaire pour que je juge par moi-même. Je remarque qu'il est rédigé en arabe et en français. Elle pointe la question n° 5 :

- Qui peut parler pour moi ?
Cochez la ou les personnes que vous jugez le mieux capable de vous représenter :
  • Mon responsable direct
  • Le comité d'entreprise
  • Le syndicat existant
  • Un(e) de mes collègues
  • Un autre syndicat (CGTT)
Puis Sonia me montre le courrier, rédigé en français, qui lui a été envoyé par la direction... Il est édifiant!
  1.  - Expliquez pourquoi vous avez quitté votre poste de travail sans prévenir votre responsable et ce le 12/04/2011 vers 15h30?
  2. - Expliquez votre mauvais comportement envers la hiérarchie : (plusieurs noms sont cités).
  3. - Vous avez élevé votre voix.
  4. - Vous avez interrompu une réunion avec la direction.
  5. - Vous parlez d'une façon insolente dans l'administration.
Les raisons invoquées semblent bien minces comparées à la sanction reçue. J'ai l'impression désagréable de lire le courrier d'un directeur de lycée adressé à une élève. (De mauvais souvenirs me reviennent en mémoire.) Mais il s'agit ici d'adultes censés communiquer sur le même pied d'égalité. Or il n'en est rien. Les méthodes d'infantilisation envers les employé(e)s et particulièrement les employéEs sont pratiquées autant en France qu'en Tunisie. Sauf qu'ici se joue en arrière-plan les enjeux et méthodes de la colonisation française. Tout cela me dégoûte profondément.

Une chose cependant est profondément réjouissante : le questionnaire n'a pas été distribué. Sonia et ses amies ont gagné...

Pour lire  mon article consacré à la lutte de Sonia et Monia, cliquez ici


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