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jeudi 5 juillet 2012

Voyage avec Zakia


Zakia Dhifaoui est l’unique femme à avoir été arrêtée et emprisonnée lors des manifestations du bassin minier à Redeyef en 2008. Cette professeure d’histoire géographie originaire de Kairouan et militante a suivi et soutenu les événements du bassin minier de Gafsa depuis le début. Co-fondatrice du Forum Démocratique pour le travail et les libertés (Etakatol) et du journal « Mouatinoun » dans lequel elle a écrit des articles très critiques envers le régime de Ben Ali, elle fut très vite mise sous contrôle policier essentiellement à cause de ses textes engagés. En juillet 2008, alors qu’elle participe à une manifestation des femmes de Redeyef pour l’obtention de la libération des prisonniers du bassin minier, elle est arrêtée et accusée d’être l’organisatrice de la manifestation. Selon elle, c’est d’abord à cause de ses écrits qu’elle a subi cette arrestation suivie de la peine la plus lourde parmi les autres prisonniers. Arrêtée dans la maison d’une amie le 27 juillet 2008, elle sera libérée sous condition le 7 novembre de la même année, journée de la prise de pouvoir de Ben Ali. Elle continue aujourd’hui à déranger en racontant son arrestation et en clamant les attouchements sexuels, menaces de viol et violences physiques et psychique qu’elle a subies lors de sa garde à vue. A ce jour aucun policier n’a été jugé et l’appareil judiciaire est resté identique après la révolution. Zachia n’a pas porté plainte. Elle le fera « le jour où elle pourra avoir confiance en la justice de ce pays ».

Redeyef
Je fais le voyage avec Zakia, de Kairouan où elle vit jusqu’à Redeyef à 240 km. Ce trajet, elle l’a fait seule de nombreuses fois en 2008. Nous prenons le car de 8h00 qui est climatisé, un détail essentiel en cette saison où la température dépasse les 40 degrés. Habituée à « la négociation à la tunisienne », elle arrive à nous obtenir des places debout. Le car est bondé, tous les sièges sont pris. Il nous faut patienter jusqu’aux prochains arrêts pour espérer gagner une place assise. Un homme me cède gentiment sa place. Je le vois discuter amicalement avec Zakia. Lorsqu’il descend du car, elle m’explique : « C’est un ancien élève à moi ! Je l’ai eu dans ma classe. Maintenant il est policier. Tu te rends compte, il aurait pu être parmi ceux qui m’ont arrêtée et maltraitée ! Je le lui ai dit mais il m’a répondu que si ça avait été le cas, il aurait tout fait pour que l’on ne me fasse pas de mal. Tu comprends, lors d’examens je l’ai surpris en train de tricher mais je ne l’ai pas dénoncé. J’ai juste jeté sa feuille et lui ai demandé de recommencer. » Du jour au lendemain un ancien élève peut devenir le bourreau sans limites de son professeur pour un simple zéro. Cette idée me laisse perplexe. Je pense aux frères ennemis, ou plutôt ici aux frères et sœurs ennemis. Une Tunisie dans laquelle au sein de chaque famille chacun pouvait  se retourner conte l'autre. Un pays divisé par un fou de domination où chaque silence devenait complice des pires horreurs.

Zakia, Boubaker Boubaker ancien prisonnier et Ghassen Labidi arrêté en juin 2008

Lorsque nous arrivons à Redeyef et que nous nous installons au café près de l’UGTT, Zakia retrouve ses anciens compagnons de prison qui viennent la saluer avec joie et respect. Dans cet univers masculin, elle est l’une des rares figures féminines à avoir partagé le sort des hommes les plus courageux. D’ailleurs, ils n’hésitent pas à me faire l’éloge de Zakia devant celle-ci qui reçoit humblement ces marques d’admiration : « Elle est notre modèle, elle est plus courageuse qu’un homme ! ». Et d’évoquer ce jour où Zakia, en pleine garde à vue et rouée de coups, s’est mise à chanter à tue-tête des chants révolutionnaires, reprise en chœur par les hommes de la cellule voisine…

A gauche Abdelaziz Ahmadin ancien prisonnier avec Zakia, Kamel Alaimi syndicaliste et Zakia au café près de l'UGTT.


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