Redeyef : 43°C, Redeyef : 45°C,
Redeyef : 48°C, Redeyef : 52°C, Redeyef…
Les thermomètres
auraient-ils explosé?
Depuis mon arrivée à Redeyef, la
température n’a cessé d’augmenter. Dès le premier jour, on m’avait prévenue :
il y a des coupures d’eau et d’électricité. Ce qui signifie ni ventilation ni
hydratation. La nuit, nous dormons dehors dans la cour sous la voûte étoilée
protégés par les murs de la maison. Et il fait toujours chaud.
Redeyef 5h00 du matin |
Le troisième jour de mon arrivée, il
devient impossible de sortir dehors entre midi et seize heures. L’air est si
chaud qu’il semble compact. Le quatrième jour, plus personne dans les rues à
partir de midi. Je demande quelle température il fait. On me répond qu’à la
télévision, ils n’ont donné aucun chiffre. Pourquoi ? « Ils ont peur
des émeutes,
à cause des coupures d’eau… ». De fait, il n’y a pas d’eau durant toute la journée.
Heureusement, la maison de Béchir possède une baignoire dans laquelle Leila
stocke l’eau quotidiennement. Mais comment font les autres habitants ?
Ceux de Guetar ? Ceux de M’dhilla ? Ceux de Sidi Bouzid ? Ils manifestent. Sous le soleil de plomb, avec plus de 45°C, ils manifestent et
reçoivent comme toute réponse les gaz lacrymogène. Avec cette chaleur,
exceptionnellement élevée cette année, il devient criminel d’imposer à la
population de telles coupures d’eau. Tout particulièrement pour les vieux et
les nourrissons. Dans certaines villes les habitants peinent à avoir un filet d’eau
durant quelques heures la nuit…
Redeyef 5h00 du matin |
La région de Redeyef est
habituellement très chaude en été. Aux portes du désert, près de la frontière
algérienne, à l’intérieur des terres, son climat est sec et aride. Pourtant,
dans les profondeurs, par-delà la terre brûlée, est une nappe phréatique,
source abondante qui couvre toute la région Gafsienne, offrant des millions de
mètres cube d’eau par an.
Dans cette région minière dominée par
l’exploitation de phosphate depuis près d’un siècle, héritage du colonialisme, la Compagnie des
Phosphates de Gafsa (CPG) exploite près de 8 millions de tonnes de phosphate
par an. La Tunisie est le 5ème exportateur à l’échelle mondiale.
Des millions de dinars sont également brassés par cette société semi-étatique
qui a mis en place le système des mines à ciel ouvert dans les années 80
divisant par trois ses effectifs et
mettant au chômage une grande partie de la population de la région. Or, la compagnie
a besoin de plusieurs
tonnes d’eau pour alimenter ses laveries
de phosphate. Cela provoque un assèchement des nappes phréatiques de la région irrémédiable (voir billet
n°60).
Redeyef 5h00 du matin |
Alors pourquoi le gouvernement laisse
des populations sans eau dans la saison la plus chaude de l’année ? Et
pourquoi ces coupures d’eau ? Les réponses, d’abord floues, donnent plusieurs pistes :
Du problème technique évoqué (mais pourquoi l’eau est quand même accessible à
certaines heures ?), aux raisons plus obscures et clairement politiques
quand certains évoquent le projet de privatisation de la Société nationale de
l’exploitation et de distribution des eaux (SONEDE).
Et si les représentants de la SONEDE expliquent
que « la diminution de l’approvisionnement en eau
potable est due à "la baisse du niveau de l’eau de la
nappe phréatique de la région" », le gouvernement ne vient
aucunement en aide à ces régions appauvries…
Lorsque je quitte Leila et Béchir, la
température avoisine probablement les 60°C à Redeyef. Le car de 5 heures du
matin est déjà chaud comme un four. Je laisse derrière moi les amis, inquiète
et révoltée par cette situation inhumaine. Le même jour, un groupe de jeunes
activistes indépendants de Tunis dont le fils de Leila qui ont réalisé une
collecte vont acheminer de l’eau vers Guetar. Encore une fois la société civile
pallie au manque de l’état. Pendant ce temps, la CPG fait des bénéfices de
plusieurs centaines de millions de dinars.
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