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jeudi 3 novembre 2011

Révolution et schizophrénie


 Suite du billet "Quand la jeunesse s'est enflammée"

Le point culminant du 14 janvier ne résume pas à lui seul la révolution tunisienne et le renversement des forces ne signifie pas la fin immédiate des causes qui ont conduit le peuple à se révolter. La complexité du processus est à l'image de la complexité d'une société avec les différentes personnes et groupes qui la composent.
Myriam et Asma se remémorent la période mouvementée et incertaine qui a suivi la fuite de Ben Ali. "Après le 14 janvier, on est restés une semaine à la maison. Après je ne comprenais plus rien, j'ai perdu le fil des infos..." se souvient Myriam. Pourtant la jeune étudiante a ensuite participé au premier sit-in place de la Kasbah, appelé Kasbah 1. Elle se souvient avec émotion de ce rassemblement qui réclamait la destitution du Premier Ministre du gouvernement transitoire Mohammed Ghannouchi, un ancien du gouvernement Ben Ali. "A ce moment-là, des gens de plusieurs coins de la Tunisie sont montés à Tunis." Myriam évoque les morts du triangle de la révolution : Kasserine, Thala et Sidi Bouzid. "En 2008, je n'avais pas entendu parler des événements de Gafsa. Lorsque j'ai été à la Kasbah 1, j'ai tout compris en discutant avec les gens. C'étaient des gens du peuple, pauvres mais diplômés, très profonds, avec une conscience incroyable. Je me sentais une bonne à rien à côté d'eux. La Kasbah 1 c'était vraiment la fête! Mais l'armée s'est retirée et la police l'a remplacée. Ils ont placé de la drogue parmi les manifestants pour les accuser..." Malgré cela, les manifestants de la Kasbah 1 obtiennent gain de cause. " Le changement a eu lieu, Farhat Rajhi, un juge très correct qui voulait changer les choses, a été nommé Premier Ministre. Le peuple l'aimait bien, il était humaniste. Mais très vite il a été harcelé par la police et été invité à partir. Il a lui-même raconté qu'on est venu lui dire maintenant vous partez. A la place, ils ont mis un ancien du RCD."
Myriam et Asma tentent de retrouver, dans la chronologie, les différents événements survenus durant cette période. Cela semble confus et difficile de s'y retrouver pour les deux jeunes femmes. D'autant que la période est troublée par des manifestations qui vont à l'encontre de la révolution : " A Kobba, un quartier chic, une manifestation a été organisé à El Menzah, . Les bourgeois avaient peur. Ils disaient qu'il fallait arrêter les manifestations et les sit-in. Dans ma famille, on a rompu avec cette partie-là qui a manifesté à Kobba..." Cela n'arrête pas les révolutionnaires qui refont un deuxième sit-in place de la Kasbah. "Le pire c'est que lorsque les demandes de la Kasbah 2 ont été acceptées, ceux de la Kobba étaient aussi contents!". Les revendications de la Kasbah 2 étaient "l'élection d'une assemblée constituante mais également une protestation contre la police politique". Myriam tient à préciser comment les manifestants étaient organisés et respectueux : "Après chaque manif, on nettoyait tout!" Elle évoque également le projet avorté d'une Kasbah_3_: "On a voulu faire une nouvelle Kasbah après des révélations sur le gouvernement, mais finalement ça ne s'est pas fait..." 
Les deux amies semblent faire un petit bilan des acquis de la révolution. Asma mentionne le fait que pour la première fois, grâce à la révolution, les gens peuvent parler librement de politique. Mais très vite les jeunes femmes évoquent l'avenir proche avec une nouvelle composante suite aux élections de l'assemblée constituante. "Une autre dictature se met en place avec la religion, constate Myriam, Ghannouchi a un double discours, il a décrédibilisé Mohammed Bouazizi. Il était contre la révolution... Aujourd'hui, il y a de plus en plus d'extrémistes et d'anciens RCD qui reviennent." En effet, la démocratie est mise en face de ses propres contradictions lorsque le peuple élit ceux qui tuent dans l’œuf le principe même de démocratie. Et les deux jeunes femmes commencent à ressentir dans leur quotidien les effets du vote massif d'Ennahda aux dernières élections : "Ces derniers temps, l'ambiance a changé. Dorénavant on évite de discuter de religion car ça tourne mal." Avoue Myriam, tout en continuant de critiquer le parti religieux : "L'argent d'Ennahda vient probablement du Moyen-Orient, là-bas ils sont extrémistes. Ce ne sont pas de vrais religieux pour moi. Ils ont beaucoup d'argent et sont malhonnêtes. Ils traitent les tunisiennes de putes car nous sommes les plus libres du monde arabo-musulman. En plus, Ennahda a avoué les crimes commis dans les années 80..."
En quittant le café avec les deux amies, je repense à ce que m'a dit Myriam ce matin : "La Tunisie est schizophrène, des hommes vont boire, se saouler, aller voir des prostituées. Mais si tu critiques la religion, tu te fais tuer!"

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