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jeudi 3 novembre 2011

Quand la jeunesse s'est enflammée

Suite du billet "Retour sur la révolution"

La période autour de la révolution semble être très tourmentée. Myriam m'apprend que les suicides étaient nombreux en Tunisie. Sa petite sœur, lycéenne dans un établissement du centre de Tunis a été violemment marquée par un événement survenu dans son propre environnement scolaire. Cela s'est passé le 4 ou le 6 janvier...
"Un jour, ma sœur est rentrée à la maison très choquée en disant : Ayoub s'est immolé. Au départ, je ne l'ai pas crue, c'était impossible d'y croire. Ayoub était un ami de lycée de ma sœur, il était croyant et le suicide est strictement interdit dans la religion. C'était un jeune garçon rieur, tout le monde l'appréciait, il n'avait pas de problème particulier. Mais il était révolté et souhaitait agir, faire quelque chose. Ce jour-là, le directeur l'avait menacé d'appeler la police... Ayoub s'est alors rendu dans la cour du lycée, il a mis du détergent sur lui et a allumé. Dehors, des lycéens qui se trouvaient devant la porte de l'établissement ont vu quelques flammes. Mais au début, ils n'ont pas du tout compris ce qu'il se passait et ils ont applaudi... Lorsque Ayoub a vraiment pris feu, les lycéens ont essayé de faire quelque chose. Ayoub hurlait de douleur, mais la grille du lycée était fermée. Les lycéens, de toutes leurs forces, ont défoncé la porte pour sauver leur camarade. Pendant ce temps, un professeur était accouru et avait jeté son manteau sur Ayoub pour éteindre le feu. Le directeur, lui, s'était enfermé dans son bureau... Lorsque les autres lycéens ont réussi à forcer le portail et à entrer, Ayoub était encore vivant. Il leur a dit : je me suis sacrifié pour vous... Le jeune homme est mort quelques temps après car ses poumons n'ont pas supporté la trop forte chaleur du feu. Ma sœur l'a vu brûler devant elle! Choquée, elle a redoublé son année. Les professeurs aussi sont encore choqués... Même les garçons criaient et pleuraient en classe lorsqu'on leur a annoncé la mort d'Ayoub. Encore aujourd'hui, ma sœur fait des cauchemars. Elle pleure souvent. Parfois elle se souvient de certaines anecdotes, des blagues qu'il lui racontait, car ils jouaient régulièrement aux cartes le matin... Pour moi, Ayoub, ça a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase."


Je reste moi-même assez meurtrie par ce que Myriam vient de me raconter. Je pense à cette jeune professeure de mathématique qui s'est immolée dans la cour de son lycée et devant ses élèves dans le sud de la France, quelques jours avant que je parte en Tunisie... Ici ou là-bas, les réactions des médias sont toujours les mêmes : on préfère accuser la victime de fragilité et de troubles psychologiques. Il s'agit de dépolitiser l'appel le plus puissant, le plus définitif et le plus violent qu'un être humain puisse adresser à ses semblables... Il s'agit aussi de tuer une dernière fois la parole inaccomplie, faute d'avoir été reçue...
En Tunisie, les flammes de la détresse ont embrasé le peuple qui a transformé le feu en vent de révolte.

Myriam me raconte de quelle manière la "goutte d'eau" a fait déborder dans toute la Tunisie, la source de la révolution :   
"Le 14 janvier, on ne pensait pas que ça allait prendre cette ampleur. Dans la rue, on avait peur que les RCDistes nous attaquent. Sur l'avenue Bourguiba, j'ai vu un motard arriver vers nous... Derrière lui, il amenait 3000 personnes pour se joindre à nous! Vers 15h00, alors que j'étais au milieu du trottoir cherchant quelque chose à manger, j'ai vu soudain les gens crier et courir. Puis j'ai entendu les tirs de lacrymo. On étouffait, d'autant qu'elle est souvent périmée... J'insultais les policiers pour la première fois de ma vie et l'on me disait de me taire! Heureusement que je connais très bien Tunis. On s'était dit : si il y a un problème, on va vers l'autoroute car là-bas c'était calme. Puis, j'ai eu ma mère au téléphone, elle chuchotait : Maintenant tu rentres à la maison... En fait, elle était cachée avec mon père et d'autres personnes dans une boutique de vêtements dont les vitres étaient tapissées de papier journal. Là, elle voyait tout. Elle a vu les policiers tirer sur les gens... Elle ne pouvait pas sortir. Sur le moment, j'ai pris une crise de nerf... Dehors, c'était comme un jeu vidéo avec des policiers à chaque coin de rue. On croisait des gens qui nous disaient : Arrêtez, écoutez Ben Ali [voir son discours de la veille nda] et moi je l'insultais... Lorsque mes parents se sont échappés en voiture, sur la route ils ont vu arriver un policier tout pâle et tremblant. Il leur a demandé de l'emmener car l'armée débarquait et allait frapper les policiers. Il avait arraché l'insigne de policier de son blouson et déchiré en morceaux ses papiers tellement il avait peur!"



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