Aujourd'hui, j'ai le plaisir de passer la matinée en compagnie de deux guides de choix : Myriam et Asma sont deux jeunes tunisoises. Myriam m'a garanti qu'elle connaissait Tunis et en particulier la médina comme sa poche. A travers les rues colorées et parfumées du souk, je suis les deux amies jusqu'à un quartier très ancien d'artisans. Au bout d'une ruelle fermée par une échoppe, nous arrivons à un petit café typique que Myriam tient à me faire découvrir : "Il n'y a que certains tunisois qui connaissent cet endroit!" me dit-elle, fière de sa ville et de ses trésors révélés. Nous nous installons à l'une des petites tables basses.
Près de nous un homme boit tranquillement un thé à la menthe. Quelques instant plus tard, alors que nous sirotons le nôtre, Asma et Myriam constatent : "c'est les flics...". Je me retourne et avise deux hommes qui contrôlent notre voisin de table. Ce sont effectivement des policiers habillés, "déguisés", en civil. Les jeunes filles sont mécontentes et inquiètes : "C'est censé avoir disparu avec la révolution!". Puis Myriam se tourne vers moi, amère : "Pour moi, la révolution a avorté... Il y a les mêmes personnes qu'avant au pouvoir... Je m'attends à un bain de sang du jour au lendemain...." Je reste surprise et un peu triste par les paroles de Myriam. Elle m'explique alors : "Mon oncle n'a pas voté car le système est le même qu'avant. Il y a un ministre qui est un ancien du RCD. Essebsi, l'actuel Premier Ministre a tiré sur les manifestants en 68, il a même torturé des gens, et malgré cela il est encore là! On a réussi à dégager Ghannouchi avec la Kasbah 1 [Grande manifestation sit-in du 28 janvier 2011 sur la place de la casbah à Tunis contre le gouvernement transitoire de Mohammed Ghannouchi, nda], mais après le 14 janvier, les gens se disaient OK, c'est bon, on n'a plus besoin de bouger..." Asma tempère les paroles de son amie : "Ne sois pas trop dure... Après une semaine de tirs et de terreur, les gens n'avaient pas envie de manifester. Après le 14 janvier, pendant 10 jours, nous avons vécu comme dans un pays en guerre. Il y avait des tirs, des cris, des morts... C'était horrible!". Myriam se souvient également : "J'ai pensé à la Palestine. Je me disais, pour eux cela fait des années que c'est comme cela."
"J'habite dans la banlieue sud, m'explique Asma, au 4ème étage. Et je voyais tout! En même temps c'était beau de voir les hommes dehors pour protéger le quartier. Les gens s'appelaient en disant : attention une voiture arrive de tel endroit... Tout le monde était connecté!". Tandis qu'elle évoque cet aspect de la révolution, une scène du film "Plus jamais peur" de Mourad Ben Cheikh me revient à la mémoire : on y voit en pleine nuit les hommes des quartiers, téléphone à l'oreille, arrêter les voitures qui passent et vérifier l'identité des personnes. Une sorte d'autogestion efficace des quartiers dans un moment où des policiers (parfois des civils déguisés en policiers) profitaient du chaos pour piller les maisons et, à l'occasion, violer... Mais je n'y fais pas allusion devant mes amies préférant écouter leur témoignage... "La police a continué à taper jusqu'au dernier jour. Encore aujourd'hui, quand je vois la police, j'ai peur." avoue Myriam. Puis elle revient sur cette période qui a précédé la révolution : "Entre l'été 2010 et 2011, je sentais que quelque chose bouillonnait : La dictature était de plus en plus forte, Ben Ali n'avait plus de pouvoir et l'on parlait davantage de sa femme Leila. Le plus difficile a été de faire sortir les gens à Tunis. On a beaucoup trop de policiers ici..." Asma poursuit : "Le 12 janvier, au départ, on était une minorité. Je me souviens que ce jour-là, dans l'appartement, j'avais très peur, je tremblais, j'avais peur qu'ils montent et là ça aurait été foutu. Quand on est sortis avec mes amis, ça ressemblait à un film, avec des flics partout dans la rue qui attendaient... J'avais dit à ma mère que j'allais prendre un café. Certains amis sont même sortis en pyjama. Les parents avaient très peur pour nous." Bien que la famille tienne une place particulièrement importante en Tunisie, beaucoup de jeunes ont contourné ce jour-là l'interdiction parentale et sont sortis dans la rue manifester, bravant également leur propre peur. Myriam se remémore cette période mouvementée : "Le 8 janvier, je suis descendue pour aller à l'UGTT [ L'Union générale tunisienne du travail, nda]. Là-bas ça bouillonnait alors que dehors les gens étaient comme d'habitude au café etc.. J'ai croisé mon oncle qui participait à la manifestation de l'UGTT. Il m'a ordonné de partir car les flics en civil surveillaient tout le monde. Je n'ai pas pu faire la manif à cause de lui." La famille de Myriam a un passé de militants de gauche. Étudiante ingénieure en sciences de la mer, Myriam tenait, juste avant la révolution, une rubrique écologique sur RTCI (Radio Tunis Chaîne Internationale). Mais un jour, l'animateur l'appelle pour lui demander d'enlever ses publications, apparemment trop politiques, sur son compte Facebook : "Je n'ai rien enlevé et j'ai décidé de ne plus retourner à RTCI où en plus je n'étais pas payée." La révolution est venue semble-t-il balayer tout cela...
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