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mercredi 6 février 2013

La mort de Chokri Belaid

La nouvelle tombe comme un couperet : Chokri Belaid est mort. Il a été assassiné ce matin en sortant de chez lui. Tout est dit. Dans les regards, dans les visages graves des personnes regroupées au café de l'Univers, un des lieux de rendez-vous des révolutionnaires, se lit de la tristesse mais aussi autre chose. Quelque chose que je ne connais pas, sur laquelle je ne peux mettre un nom. Les regards semblent tournés vers l'intérieur des corps, le choc du réel immédiat vient de faire irruption. On pressent ce qu'il va se passer et l'on sait qu'on ne pourra pas y échapper. On connait cela . C'est la violence extrême. C'est la vie arrêtée au point du présent. C'est l'incertitude. Tout cela passe comme un nuage dans l'horizon des regards rougis par les pleurs. Demain ne s'appelle plus demain, aujourd'hui s'inscrit dans un temps infini. On connait la suite à cause du passé et l'on sait que tout peut être pire. On rentre peu à peu dans un état d'alerte. Mais déjà, la société est mobilisée, les gens sortent, se réunissent, prennent les nouvelles. Dès 10 heures les gens sont sortis dans les rues. A midi un cortège de jeunes arrive sur l'avenue Bourguiba. Ils s'arrêtent sur les marches du grand Théâtre. Tristesse - colère - tristesse... Le portrait de Chokri Belaid, leader du Front Populaire et porte parole du parti El Wattad apparaît... On n'a pas encore eu le temps de réaliser des banderoles et des affiches. Après les lycéens et les étudiants arrive le cortège des avocats, venus défiler en hommage à leur collègue Choukri Belaid. La foule se densifie peu à peu jusqu'au Ministère de l'Intérieur. A 13 heures, les pleurs ont laissé la place à la colère, des gens crient parfois leur colère et leur désespoir, à travers Choukri Belaid, c'est la Révolution que l'on assassine une deuxième fois. La police procède à plusieurs tirs à blanc provoquant quelques mouvements de panique sans danger. La foule dense massée devant le Ministère de l'Intérieur n'est pas prête à se laisser intimider. On scande "Dégage" à l'attention de Ghannouchi, on accuse le gouvernement de complicité de meurtre, on réclame tout simplement sa démission.

Manifestation suite à l'assassinat de Choukri Belaid sur l'avenue Bourguiba, avant le lancement des bombes lacrymogènes :


Vers 14h00, un cortège accompagnant l'ambulance avec la dépouille du défunt se dirige vers l'avenue Bourguiba. Les manifestants ne sont pas encore engagés dans l'avenue lorsque la police tire sur la foule composée de milliers de manifestants des bombes de gaz lacrymogène d'une puissance extrême. Le cortège continue tant bien que mal, tandis que la foule se disperse dans les rues adjacentes. Logée dans une rue perpendiculaire à l'avenue Bourguiba, j'assiste, impuissante à la violence de la police lancée contre le peuple. De la rue parviennent des cris et des bruits de tirs de bombe lacrymogène. Je décide de sortir vers 15 heures, une fois mes photos balancées sur Facebook : les gaz me prennent à la gorge et les yeux me piquent. Impossible de sortir, même sur le balcon. De temps en temps des hommes et quelques femmes courent dans la rue, les bombes ricochent sur le bitume suivies de leur fumée blanche paralysante et asphyxiante. Une bombe atterri juste sous ma fenêtre, au deuxième étage. Je ferme toutes les fenêtres mais le gaz parvient à s'infiltrer dans la chambre. La tension est à son comble. De temps en temps des gens déboulent dans la cage d'escalier de l'immeuble pour se réfugier, puis ils repartent... On me dit "surtout n'ouvre à personne!". L'angoisse est paralysante. La seule porte de sortie seule fenêtre ouverte sur le monde reste internet. L'obsession : savoir ce qu'il se passe. Je comprends de mieux en mieux le rôle des réseaux sociaux, non seulement pour faire passer les informations, mais aussi pour se sentir connecté aux autres. 
Dans les rues adjacentes, les poursuites continuent. Des cars de police raflent les jeunes se trouvant sur leur passage...
Pendant ce temps, loin sur l'avenue Bourguiba, des jeunes issus des quartiers populaires affrontent ouvertement les policiers à coup de jets de pierres, bravant les gaz et érigeant des barricades de feu. Pourquoi? D'où viennent-ils? Certains journalistes évoquent une manipulation de ces jeunes afin de décrédibiliser les manifestants. Quoi qu'il en soit, comment ne pas comprendre la rage désespérée des jeunes tunisiens lorsque le chômage, la corruption, la pauvreté et la manipulation des politiques forment le quotidien d'un présent dont l'avenir semble sans issue.


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