J’ai rendez-vous avec Majda dans la ville de Solimane (que l’on prononce
«Slimène») tout près de Ben Arous dans la banlieue sud de Tunis. Elle y
enseigne le français dans une école primaire. Lorsque j’arrive très en
retard après avoir tourné en taxi, je repère l’établissement grâce à la nuée
d’enfants qui essaiment à travers les ruelles de ce quartier populaire. A peine
entrée dans l’immense cour en terre battue, une petite fille viens vers moi et
me prend la main pour me conduire quelque part. Elle ne parle pas le français
mais comme la plupart des enfants, elle sait se faire comprendre. Et je
comprends qu’elle sait bien qui je suis et qui je cherche. J’avise les salles
de classe sur le côté de la cour où les portes grandes ouvertes laissent
pénétrer la lumière du soleil de midi. Aux murs, l’alphabet français et les
mots écris comme dans n’importe quelle école de France. Majda arrive enfin. Les
enfants m’ont attendue pour la photo et sont très émus de cet événement. Elle
tient à me montrer les spécificités de ses cours. Au mur, à côté des lettres de
l’alphabet, à la place des classiques phrases de type «Pierre mange du chocolat» on trouve
«Révolutions arabes : le printemps continue» juste au dessus du tableau noir.
Près d’une fleur dessinée sous laquelle le mot fleur est écrit, un papier
révèle les deux mots qui composent «lutte sociale». Est-il besoin d’un dessin
dans une classe où les bureaux des enfants sont à moitié mangés par l’usure?
Majda se plaint du manque de moyens dont l’école pâtit. Elle a déjà envoyé
plusieurs lettres de doléances au gouvernement. Mais rien ne change... En
attendant elle explique la révolution à sa classe composée en moyenne d’enfants
de 5 ans. J’aimerais un jour pouvoir assister à l’un de ses cours carrément
révolutionnaire. Pour le moment je ne peux que deviner à travers les feuilles
punaisées sur les murs... La question de la dette est évoquée à travers la
phrase «Ce n’est pas à nous de payer leur crise» et, pour le cas où l’on
n’aurait pas compris, l’affiche «Ce sont eux les fraudeurs» vient renforcer le
propos. Pour la partie mathématique, l’énorme chiffre 99% permet d’aborder les
proportions de façon ludique... Quand on sait compter jusqu’à 10 on peut
appréhender le chiffre 100 et lorsque sur les dix doigts de la main un seul
reste abaissé, on devine que ce doigt-là est ce qu’il reste au peuple lorsque
tous les autres ont été dévorés par une minorité. Quand à la notion de
«Partager les richesses» écrite en lettres rouges au fond de la salle,
assurément même un enfant de 5 ans peut comprendre cela...
Les enfants qui apprennent la révolution sont tous très polis voire
câlins, car après avoir terminé ma prise de vue, j’ai droit à quelques bisous
bruyants sur les deux joues, ponctués d’un «au revoir» prononcé avec
application. Cela me va droit au cœur.
Je dis mon étonnement à
Majda devant la liberté dont elle dispose dans l’éducation des enfants. Elle me
dit que la notion de révolution est partagée par tous comme un événement
positif. Et puis, dans l’école tout le monde connaît ses opinions politiques.
Militante des premières heures, et cela bien longtemps avant la révolution,
elle a toujours été respectée même par ses ennemis politiques. Connue pour ses
coups de gueule durant les réunions, elle est aussi appréciée pour son
honnêteté, ses convictions et sa soif de justice.
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