A plusieurs reprises, avisant mon appareil photo, des femmes
m’interpellent : «Dites au monde ce qu’il se passe ici. Il faut que le monde
sache!» Elles posent leur main sur mon bras, les yeux emplis d’anxiété,
m’octroyant un rôle et un pouvoir que malheureusement je n’ai pas. Je me sens
impuissante face à leur désarroi. Comment trouver les bons mots pour raconter?
En France l’islam est instrumentalisé par la droite au pouvoir et le
gouvernement manipule l’opinion à des fins racistes. Toute action de la part de
quelques islamistes apporte de l’eau à leur moulin. D’un autre côté, le rapport
de force existe bel et bien ici en Tunisie et la menace est réelle. Les
libertés, et tout particulièrement celles des femmes sont constamment remises
en cause. C’est un véritable bras de fer quasi quotidien qui s’opère depuis les
élections qui ont vu le parti islamiste remporter 40% des voix. L’appel de ces
femmes me touche... Et je comprends parfaitement leur peur. Dans un pays où il
est mal vu pour une femme de marcher en plein jour dans les rues de la capitale
avec une cigarette à la main, l’arrivée des islamistes au pouvoir et leur
cortège funèbre de jeunes extrémistes fous de Dieu qui voudraient voir les
femmes privées définitivement de leur liberté, fait peur aux femmes. Du moins à
celles qui ont goûté et appris à aimer la liberté. Depuis les élections, il
semble que le pouvoir teste en permanence jusqu’où il peut aller avec cette
liberté des femmes tunisiennes unique dans le monde arabo-musulman. Le retour
de la polygamie, le discours de cette ministre issue du parti Ennahda sur «la
honte pour le pays » d’être mère célibataire et enfin la proposition du
gouvernement d’introduire la charia (la loi islamique, plutôt liberticide) dans
la constitution ont à chaque fois provoqué de vives réactions de la part de la
société civile et fait reculer le gouvernement. Mais jusqu’à quand? Le
gouvernement a annoncé que l’écriture de la constitution prévue pour un an
durerait un an et demi. On dit que ce dernier n’a toujours rien écrit et qu’il
compte sur le temps et l’usure de la société civile pour imposer ses lois. Mais
la société civile reste vigilante et les femmes tunisiennes pleines de courage.
Elles ne lâcheront rien comme elles le montrent aujourd’hui en manifestant
devant l’assemblée constituante malgré la peur d’être attaquées par les
policiers d’un côté et les islamistes de l’autre. Hier, à la faculté de la
Manouba, durant l’affaire du drapeau, deux étudiantes ont été violemment rouées
de coups par les extrémistes, dont l’une dans les parties intimes m’a-t-on dit.
Mais aujourd’hui, la police semble avoir reçu l’ordre de ne pas frapper comme
lors de la dernière manifestation de l’UGTT à Tunis violemment réprimée. Il est
vrai que les slogans étaient particulièrement tournés contre le gouvernement et
que ce 8 mars a beaucoup fédéré en raison de l’affaire du drapeau qui a touché
tous les tunisiens. Pourtant, quelques «dégage!» écris çà et là démontrent que
le mécontentement envers le gouvernement persiste et que la flamme
révolutionnaire n’est pas loin...
Vers 14h30, une demi-heure avant la fin de l’autorisation de la
manifestation, une agitation apparaît dans la foule du côté opposé où se
trouvent les cars de police. Des jeunes garçons vraisemblablement issus des
quartiers populaires alentours tentent d’entrer dans le cortège. Une bagarre
verbale a débuté avec les manifestants. Ces derniers font bloc derrière des
barrières et les femmes crient «dégage!» envers le groupe. Des bruits courent :
Les jeunes hommes auraient été payés par les islamistes pour foutre la merde...
Une pratique courante. Des disputes éclatent et certaines femmes s’adressent
furieusement aux jeunes perturbateurs. Elles en ont assez de s’entendre dire
«restez chez vous, ici ce n’est pas votre place...» par de jeunes islamistes à
peine sortis de l’école... Lors des manifestations, les femmes se font
régulièrement insultées par certains passants. Mais, habituées à s’exprimer,
elles démarrent au quart de tour... Ce n’est pas pour rien que l’on dit les
femmes tunisiennes «pimentées»! Elles ne se laissent pas faire! Pour garder sa
liberté et sa dignité, l’on doit se battre au quotidien et apprendre à se
défendre.
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