Sara Ben Hamadi à La Maison des Passages à Lyon le 30 septembre 2011dans le cadre de la semaine Femmes en Révolutions |
Je retrouve la blogueuse Sara Ben Hamadi que j’avais interviewée à Lyon au mois de septembre (voir article). Elle a voté dans son quartier de La Marsa, « un quartier assez chic » me dit-elle.
Posée, Sara analyse le résultat des élections qui a donné une majorité à Ennahda et approuve la comparaison avec la France de 2002 qui a vu l’arrivée au deuxième tour de la présidentielle du Front National. Selon elle, le résultat est d’abord dû d’un côté à l’éparpillement de la gauche, de l’autre au fait qu’il n’y avait qu’un seul parti religieux. D’où le score forcément élevé. « Si les partis de gauche s’étaient alliés… » Néanmoins, Sara reste surprise par le score obtenu par le parti islamiste : « Je leur donnais entre 20 et 30% mais pas 40%. Quand tu regardes autour de toi, tu ne vois pas cette majorité-là. » S’étonne-t-elle. Pourquoi ce vote massif ? « La première raison est l’éparpillement de la gauche, la deuxième est qu’il n’y a pas eu de débat de fond. Le sujet principal de la campagne était la religion. Comme si la religion c’était seulement Ennahda. Je suis musulmane mais je pense que la religion est un débat qui n’a pas lieu d’être. C’est un débat importé. » De plus, une liste fortement remise en cause par l’ISIE, qui a appelé à manifester à Sidi Bouzid hier soir, aurait illégitimement raflé des sièges : « Il s’agit de la liste indépendante de Hachmi Hamdi, riche homme d’affaires vivant à Londres, ex-islamiste devenu ensuite pro-Ben Ali et propriétaire d’une chaîne de télé émettant depuis Londres. Il n’a pas mis les pieds en Tunisie depuis le 14 janvier et pourtant il a raflé 30 sièges avec 500 000 voix, le double du PDP ! Dans son programme, il promettait des soins gratuits, des allocations chômage etc. … Les gens ont voté pour des promesses qui ne sont pas possibles vu la situation actuelle du pays. Ils n’ont pas voté pour quelqu’un qui écrive dans la constitution, non, ils ont besoin de manger ! » Sur les 217 sièges de l’assemblée constituante, près de 89 sièges ont été gagnés par le parti islamiste : « Ennahda faisait des meetings à l’intérieur du pays et parlait de lutte des classes, de justice sociale etc. Ils ont compris ce qu’il fallait faire. Les gens pensent d’Ennahda qu’ils sont des gens honnêtes, ils ont toute leur sympathie car ils ont été emprisonnés et persécutés par Ben Ali. Pourtant, le leader du PDP a lui aussi été emprisonné, il a même fait la grève de la faim. Mais en janvier, il a fait l’erreur d’avoir un discours conciliant avec l’ancien régime. Il a prôné une transition douce et pas une rupture. On a oublié son militantisme d’avant le 14 janvier où il s’est énormément battu. » C’est une grande défaite pour le PDP qui a eu 17 sièges à l’assemblée tandis que Hamdi a obtenu 30 places. Sara constate avec amertume : « On a une Tunisie à deux vitesses, et là on le voit. Une partie de la Tunisie a voté pour la constituante, l’autre se foutait éperdument de tout cela et pensait à manger, à ses besoins économiques et sociaux. »
Affiches électorale sur l'avenue de Paris à Tunis |
L’assemblée constituante maintenant élue, elle va devoir mettre en place un gouvernement transitoire et nommer le président par intérim. Certains partis ne veulent pas se compromettre dans un gouvernement à majorité islamiste, d’autres vont faire alliance sans problème. Certains pensent qu’Ennahda n’étant pas capable de gouverner le pays, il leur faut participer au gouvernement transitoire même si pour cela ils risquent de voir leurs efforts attribués au parti islamiste. « Le PDP refuse catégoriquement de faire partie d’un gouvernement avec Ennahda. La liste Akef Tounes (centre droit) qui a eu 7 sièges a dit qu’elle refusait d’entrer dans le gouvernement tant que sa famille politique n’en faisait pas partie, c’est-à-dire les partis progressistes comme le PDP et le PDM, mais ils sont en train de négocier… ». Il y a de quoi s’emmêler les pinceaux entre les différentes familles et classifications qui changent suivant d’où l’on se positionne : « Afek considère le PDP comme sa famille politique… » constate Sara qui ne semble pas partager cette opinion. A propos du parti islamiste, Sara relative : « 40% c’est beaucoup mais pas suffisant pour une majorité… Ennahda dit qu’ils ne toucheront pas au statut du code personnel. On verra bien… Certains qui ont voté pour eux sont modérés. Ennahda a conscience d’un certain rejet de la population c’est pourquoi ils ont affiné leur discours. Mais ce parti a beaucoup d’argent, d’où vient-il ? Ils louent un immeuble à 30 000 Dinars par mois, l’argent vient de l’étranger, peut-être des pays du golf, ce n’est pas normal. Ils font de l’humanitaire au lieu du social !». Sara considère l’importance de ces élections sur le long terme : « Tu écris une constitution pour au moins cinquante ans, c’est l’avenir du pays, l’avenir de nos enfants ! » L’assemblée constituante va également déterminer le prochain régime du pays : présidentiel, parlementaire ou mixte. La mise en place de cette nouvelle constitution est censée ne pas dépasser une année. Mais comment vérifier que les articles de la constitution seront conformes aux exigences de la révolution ? « On demande à ce que les débats soient retransmis en direct pour garantir un maximum de transparence. On demande également qu’il y ait un référendum lorsque la constitution sera terminée. » Sara avoue qu’elle oscille entre optimisme et pessimisme : « Les résultats sont là, il faut les respecter. Il faut rester vigilant et comprendre pourquoi ça n’a pas marché pour ne pas refaire les mêmes erreurs. J’ai essayé de sensibiliser les gens pour qu’ils aillent voter mais sans influer sur le vote. Il y a des gens qui sont morts pour que l’on puisse voter. C’est un droit et un devoir. »
Affiches électorales dans le quartier du Bardo à Tunis |
A propos de la peur du parti islamiste, Sara me dit : « Les femmes qui portent le niqab sont plutôt à l’extrême droite, ce sont les salafistes, pour eux c’est un péché de voter. La démocratie est un péché. Mais beaucoup de personnes pensent à l’Algérie de 1991, l’exemple est dans toutes les têtes, même si on est inquiets, on a respecté le vote. Il n’y a pas eu de grosse contestation. L’armée et la police ont fait leur travail correctement, ils ne se sont pas mêlés aux élections. On a aussi en tête la révolution iranienne de 1979… La Tunisie n’est ni l’Algérie, ni l’Iran.
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