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vendredi 16 mars 2012

Redeyef : Les mères (symboliques) des martyrs


Au bout de la rue commerçante de Redeyef,
le portrait d’un des martyrs de 2008 nous accueille…
Tawfik me conduit au local de l’association du Forum (Forum Tunisien des droits économiques et sociaux) où se trouve également l’association féminine « Les Mères des martyrs ». Le local associatif, tout neuf, détonne avec son trottoir pas terminé donnant sur la petite rue en terre battue en plein centre de Redeyef. A peine entrée, je tombe sur le bureau où un homme s’affaire derrière un ordinateur tandis qu’une jeune femme passe un fax le téléphone à l’oreille. Ici, on ne chôme pas ! L’espace est composé de deux pièces : le bureau dans l’entrée et la salle de réunion juste à côté. On me présente l’homme au bureau : c’est le « fameux » Adnan Hajji, responsable syndicaliste à Redeyef, porte-parole du mouvement du bassin minier de Gafsa, emprisonné, torturé et pourchassé par la police de Ben Ali avec Bechir Labidi en 2008. La jeune femme affairée, c’est Meriem Tabbabi que Tawfik doit me présenter. En plus de travailler pour le Forum Tunisien des droits économiques et sociaux, elle est chargée de la communication et des médias au sein de l’association des mères des martyrs. Celle-ci, m’informe Meriem, a été créée juste après la révolution en janvier 2011 mais l’association a été déclarée il n’y a que deux mois. Il faut rappeler qu’un nombre important d’associations tentaient malgré tout de se créer sous Ben Ali sans jamais obtenir d’autorisation… Après la révolution, les demandes se sont bousculées, sans compter les nouvelles créations. Lorsque je demande à Meriem si l’association est composée de mères de martyrs, elle me regarde d’abord interloquée. La réponse est négative. « Nous avons toutes des proches qui ont été martyrs. Ici à Redeyef tout le monde se connaît. On a tous un cousin, même lointain, qui a été emprisonné durant le mouvement de 2008… » Redeyef a vu trois de ses jeunes hommes abattus par la police durant les manifestations de 2008. Lorsque l’on visite la ville, on tombe très rapidement sur ce petit monument au centre d’un rond-point, sur lequel les portraits des 4 martyrs (le 4ème étant de Gafsa) ont été installés remplaçant ainsi les panneaux à la gloire de Ben Ali. Je demande à Meriem quel est le but de leur association. « Le but est de réclamer en justice le statut de martyr aux familles des jeunes hommes tués en 2008… et puis… continuer la lutte des femmes ! On veut encourager les femmes à sortir dans la rue et à connaître leurs droits : Droits au travail, droit à participer dans la société, dans la vie politique, syndicaliste etc. Encourager aussi l’embauche des femmes. Il y a davantage de femmes diplômées que d’hommes et avant la révolution, seules les femmes du RCD (l’ancien parti de Ben Ali, nda.) avaient du travail. Ces femmes sont encore dans l’administration aujourd’hui… » Il faut savoir que les événements dramatiques de 2008 ont permis aux femmes de Redeyef de sortir pour la première fois de leur vie dans la rue. Investir l’espace public pour ces femmes fut en soi une petite révolution : la plupart ne travaillent pas ; avec près de 40% de chômage les familles privilégient le travail des hommes, plus rémunérateur, bien que les femmes aient atteint aujourd’hui un niveau d’études équivalent voire supérieur à leurs confrères masculins. Lorsqu’au printemps de 2008, 300 hommes de Redeyef ont été arrêtés, c’étaient plus de 300 familles qui étaient touchées dans cette petite ville comptant 26 000 habitants. Le sort des femmes et des familles est économiquement lié à celui des hommes.
Dans le local du « Forum », sur l’affiche du Comité national de
soutien aux habitants du bassin minier on peut lire :
« Halte aux souffrances des femmes du bassin minier »
Un militant du forum m’explique : « C’était aussi stratégique de faire sortir les femmes pour la libération des prisonniers, on sait que la police ne va pas taper les femmes et les enfants… ». Certes, mais ne nous méprenons pas. Si effectivement, la police n’a pas violenté les femmes durant ces manifestations, ce n’est sûrement pas par « galanterie », mais bien plutôt à cause d’un état de fait. Aucune femme n’a un rôle déterminant dans les mouvements, ce sont les hommes qui ont les postes clés (secrétaires syndicaux, porte-paroles etc.), ce sont donc eux qui ont subi les pires répressions et tortures. Les femmes, elles, ont subi néanmoins de violentes pressions psychologiques (en plus des dégâts économiques) surtout celles qui étaient mariées aux « meneurs », comme la femme d’Adnan Hajji par exemple qui a été arrêtée et interrogée durant deux jours. « Elle a fini par signer un engagement de ne plus sortir manifester… Mais elle a quand même continué ». Il y a cette militante des droits de l’homme, Zakia Dhifaoui, arrêtée au domicile de Jomâa Hajii et interrogée elle aussi. Il y a également cette journaliste militante, arrêtée et emprisonnée… Bref, les exemples ne manquent pas de femmes qui ont subi, dans une moindre mesure, la répression du régime de Ben Ali. « La situation sociale des femmes est importante mais d’autres facteurs sont à prendre en compte. Les femmes pauvres ne comprennent pas les discours politiques. Il leur faut d’abord manger, s’occuper de la santé et ensuite pas à pas les sensibiliser. Il leur faut connaître leurs droits mais également leurs devoirs. Par exemple, leurs devoirs envers leur pays, notamment à travers la responsabilité citoyenne et leurs droits concernant le travail, afin de ne pas être exploitées. »
Meriem et les treize membres de son association ont déjà réalisés des projets qui s’apparentent à de l’éducation populaire : en juin 2011, elles créent avec des enfants une pièce de théâtre racontant la révolution. Elles ont également organisé une exposition de photographies des événements de 2008 au local de l’UGTT de Redeyef. Les chants engagés chantés par les enfants font également partie de leurs actions.
Une partie de l'équipe associative de l'association des Mères des martyrs
Meriem me montre une partie des statuts associatifs : Outre le fait de « défendre les droits matériels et moral de la femme et lui accorder une importance sur le plan social, économique, culturel et politique », les statuts stipulent dans la rubrique « politique » : « Mettre la femme à l’écart des tromperies politiques ». Cela en dit long sur la façon dont sont perçues la politique et les pratiques politiciennes, domaine dans lequel une majorité d’hommes ont excellé…

Nouvelles entrantes sur la scène, les femmes voudront-elles exercer une manière de faire de la politique différente ?

Sans être à l’abri des dérives du pouvoir et de la corruption (là aussi des exemples existent telle les Leila Trabelssi), en soi pas forcément meilleures que les hommes, les femmes ont l’avantage, en ayant été écartées du pouvoir, d’avoir les « mains propres ». Aujourd’hui, fortes des exemples à ne pas suivre de leurs congénères masculins, c’est à elles de se prendre en main et de créer ce que sera la Tunisie de demain : Libre, démocratique et égalitaire. A Redeyef, elles ont déjà commencé…

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