Nous avons rendez-vous avec Ahlem Belhadj, la nouvelle présidente de l'Association des Femmes Tunisiennes Démocrates (AFTD) au café du Théâtre que nous appelons aussi le "café jaune". Elle arrive avec Saïda Rached l'ancienne secrétaire générale de l'AFTD. Monika pose son petit appareil enregistreur numérique sur la table et demande si ça ne les gène pas. Grands éclats de rires : "On a l'habitude avec la police politique! D'ailleurs elle est toujours présente malgré la révolution..." Habitude d'être enregistrées, surveillées, contrôlées... L'être humain s'adapte à tout, même au pire, et le rire, l'humour restent les derniers remparts de résistance contre l'asservissement. Ahlem nous raconte les années 80 lorsqu'elle était étudiante et qu'a émergé sa réflexion féministe. A la même période, Saïda participe au Club Tahar Hadad, qui porte le nom d'un tunisien réformiste du début du XXème siècle ayant oeuvré pour les droits des femmes. Mais à l'époque ce Club ne donne pas vraiment la possibilité de s'exprimer car trop contrôlé par la police politique. Dans les années 90, elle crée avec un petit groupe de femmes l'AFTD. Lorsque je leur demande de quelle manière elles pouvaient se réunir et si leurs réunions étaient clandestines malgré le fait de s'être constituées officiellement en association, Ahlem sourit en nous disant "Nous nous réunissions entre 5 murs... je compte le plafond comme cinquième mur." La métaphore du "cinquième mur" restitue bien la sensation d'étouffement, d'emprisonnement (au sens propre comme au figuré) qui régnait et règne encore en Tunisie. Elle fait également écho au fameux plafond de verre auquel se heurtent, tout comme les françaises, les femmes tunisiennes dans le domaine du travail. "Les hommes ont les postes à responsabilité mais à diplôme égal, les femmes trouvent moins de travail. Alors que globalement, elles sont davantage diplômées que les hommes." Il existe décidément beaucoup de similitudes entre la France et la Tunisie concernant les femmes (du moins celles de la classe moyenne). Mais Ahlem rajoute "Dans le code du statut personnel (CSP), c'est l'homme qui gère la famille...". Pourtant, la loi tunisienne est censée garantir un "salaire égal à travail égal" ... Et tout comme en France, certaines lois ne sont pas appliquées...
A quoi devraient servir les lois? A protéger les plus faibles... A quoi servent les lois si elles ne sont pas appliquées? A rien. Lorsque les lois ne sont pas appliquées, c'est la loi du plus fort qui règne...
Nous ne parlerons pas des emprisonnements, des violences subies, des morts, des proches humiliés, torturés, massacrés dans l'ombre du soi-disant miracle économique tunisien.
Saïda Rached, Ahlem Belhadj et Mongia Hedfi |
Mongia qui fait elle aussi partie de l'AFDT nous rejoint et vient partager une citronnade aux amandes (spécialité locale très désaltérante) à notre table. Ahlem, Saïda et Mongia avouent être déçues du peu de place laissée aux revendications féministes durant la révolution. Seul point sur lequel elles ont avancé : la parité. "Même les islamistes ont été obligés de céder sur ce point". Pourtant les femmes étaient très présentes durant la révolution. Ahlem et Saïda nous rappellent que ce sont les femmes tunisiennes qui ont fait les premières manifestations en 2008 dans le bassin minier. Les premières grèves et sit-in ont été organisés par les ouvrières du textiles. Dès janvier 2008, est mis en place "l’ouverture à la concurrence mondiale par l’entrée en vigueur de l’accord de libre-échange conclu avec l’Union européenne en 1995". De plus, rajoutent Ahlem et Saïda, "les ouvrières tunisiennes sont concurrencées par les ouvrières asiatiques". Concurrencées semble un mot un peu déplacé quand on pense aux conditions de travail. Peut-on entrer en concurrence, concourir à celle qui sera la plus exploitée comme on participe à un concours de beauté?
Hôtel de l'avenue Bourguiba, en face du Café du théâtre. Les grands hôtels pullulent dans cette avenue. |
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