Malgré la température dépassant
amplement les 50°C je me rends à Gafsa avec Zakia
pour rencontrer Ghezala Mhamdi militante du bassin minier en 2008 et co-fondatrice
de l’Union des Diplômés chômeurs de Gafsa avec Afef Bennaceur et Nourredine Hidouri en
2006. Nous avons rendez-vous dans le centre, à l'intérieur de l’un des rares cafés mixtes de la ville,
climatisé bien entendu.
Gare routière de Gafsa |
Comme la plupart des militants, la lutte de Ghezala a
commencé avec l’Union Générale des Etudiants de Tunisie (UGET) lorsqu’elle
étudiait à l’Institut Supérieur des Etudes Technologiques (ISET) de Gafsa. Dès
2000 cette jeune étudiante en gestion se sent « prête dans sa tête »
à manifester contre la guerre en Iraq et pour soutenir la Palestine. « Dès
ces protestations, j’étais suivie par les policiers… » se souvient-elle. Cela
ne l’empêche pas d’enchaîner sit-in et rassemblements pour protester contre les
conditions déplorables dans la faculté et le système de corruption qui y règne.
« Nous voulions enlever les privilèges matériels et moraux dont
bénéficiaient les étudiants du RCD [Le
parti de Ben Ali NdA], nous réclamions le droit à un foyer universitaire, à
plus de moyens et davantage de clémence pour les étudiants non RCDistes
notamment en ce qui concerne les absences où nous étions éliminés dès 10% du
taux d’absence autorisé et pas les étudiants RCDistes. » Entre 2000 et
2003, Ghezala est arrêtée 3 fois : « La première fois c’est quand les
étudiants ont essayé d’envahir le foyer parce que les bourses étaient en retard.
On a voulu entrer au restaurant universitaire sans ticket. La police m’a
arrêtée et j’ai perdu ma bourse. Une autre fois, on a fait un sit-in durant 15 jours dans l’administration
du foyer pour réclamer nos droits à un foyer. On était avec une trentaine de
filles. La police a arrêté les deux parents de deux étudiantes pour les
insulter. A 1 heure du matin ils sont entrés chez eux et ont pris le père et la
mère. Heureusement que mes parents me soutenaient. Ils les ont amenés à la fac
pour leur dire « prenez votre fille et rentrez à la maison ». Ils
pensaient que si je rentrais, le sit-in allait s’arrêter. »
Les combattantes
Gare routière de Gafsa |
« Quand j’ai fini mes études, je
suis restée au chômage jusqu’en 2006 où j’ai été contractuelle en
sous-traitance avec un salaire très bas… » Ghezala ne considère pas cette
période comme un vrai travail, son statut reste très précaire jusqu’en 2011. « Fin
2005 avec deux autres amis, Afef
Bennaceur et Nourredine Hidouri on a
commencé à penser à la création d’un comité régional de diplômés chômeurs à
Gafsa (UDC).
On pensait que le problème du chômage ne concernait pas seulement une vingtaine
de personnes mais que c’était un problème national. On a diffusé notre premier
communiqué le 5 janvier 2006 et on a commencé les sit-in dans le jardin
municipal pour se faire connaître. Et là une nouvelle lutte a commencé avec la
confrontation directe des policiers qui nous agressaient physiquement en pleine
rue. »
Très vite le gouvernorat de Gafsa compte 9 comités locaux et les comités
s’étendent à d’autres régions comme
Kasserine ou Sidi bouzid, zones sinistrées et bastions de la future révolution.
« Le communiqué demandait à l’état d’assumer ses responsabilités par
exemple en créant une loi qui protège les travailleurs surtout dans le privé, ou
une prime de chômage. Ce sont des revendications politiques : cela veut
dire que l’on refusait la politique de Ben Ali. Quand l’état a découvert que j’étais
membre actif, que je poussais les gens à agir, les responsables régionaux m’ont
donné un poste de sous-traitance dans une association de développement pour me
faire taire. J’ai travaillé en étant sous-payée pendant deux ans et ils m’ont
virée car je ne m’étais pas calmée. Le gouverneur de Gafsa m’a dit : « On
t’a donné un poste pour te calmer et ça ne t’a pas calmé ! ». »
Le militantisme au quotidien
En effet, durant ces deux ans, Ghezala ne cesse ses activités militantes. « Dès
2005 j’étais membre du comité des femmes et des jeunes au sein du Parti Démocrate Progressiste (PDP) dirigé par Ahmed Néjib Chebbi. J’ai essayé de faire bouger
les choses avec ce parti dont j’ai été la porte-parole dans la région de Gafsa.
Le 18 octobre 2005, les leaders des 8 grands partis d’opposition avaient fait
une grève de la faim. Cette grève a duré tout un mois et a débouché sur la
création du Collectif du 18 octobre pour les droits et les libertés [Qui regroupe des partis de gauche communistes
comme le PCOT, des laïques et des islamistes, NdA]. L’état a décrété ce
mouvement illégal et la police a renforcé et durcit sa surveillance. Et ce sont
toujours les militants de base qui payent la facture la plus chère ! J’ai
également activement soutenu le mouvement du bassin minier de Gafsa en 2008. On faisait des réunions, des sit-in, des manifestations
de soutien. On faisait des collectes pour les prisonniers.
On était en lien avec les leaders du mouvement de protestation de l’UGTT local
en tant que soutien du PDP. Durant cette année 2008, non seulement j’ai perdu
mon travail mais j’ai été violemment agressée par la police. À 7 ou 8 reprises,
ils m’ont tabassée, j’ai eu le nez cassé avec une double fracture qui me pose
encore problème aujourd’hui. Avec un certificat de 30 jours d’arrêt j’ai déposé
plainte mais elle a été jetée à la poubelle. J’ai également eu un genou cassé
par les policiers qui m’ont jetée à terre et frappée, frappée… Aujourd’hui j’ai
mal tout le temps. Dans les manifs je n’ai pas peur de me mettre en avant. Même
les policiers m’ont dit « comment tu as résisté jusqu’à maintenant, sans
argent, sans travail ? ». Et Ghezala rajoute en rigolant : « Les
jours où je n’étais pas agressée, je me disais « mais qu’est-ce qu’il y a
aujourd’hui, on ne m’a pas agressée, ce n’est pas normal ! » Parfois
j’étais agressée trois fois dans la semaine… ».
Nous avons rendez-vous dans l'un des rares cafés mixtes de la ville. La plupart des cafés sont réservés aux hommes... |
Vivre sous la dictature
Comme Zakia, comme d’autres
militant(e)s, c’est aussi la pression quotidienne sous forme de surveillance,
la menace et la peur constante dont se souvient Ghezala : « Chaque
jour avec une amie on rentrait à la maison à deux heures du matin. On s’était
dit avec les amis de ne jamais se déplacer seuls, toujours à deux ou trois
personnes, car en cas d’arrestation l’une des personnes peut prévenir les
autres. Si tu restes seul la police peut te prendre, comme un enlèvement, et
personne ne sait où tu es, même pas ta famille. Tu n’as pas d’avocat, personne
ne sait si tu es vivant… Des amis se sont fait arrêter et pendant 20 jours on
ne savait pas où ils étaient. Mohammed Soudani est resté 20 jours en prison et
ce n’est que quand Amnesty International a lancé un appel de recherche que l’on
a su où il était. »
Malgré ces séquelles, Ghezala reste
très active et décide de protester contre ce licenciement abusif. « En octobre
2010, j’ai fait une grève de la faim à Gafsa pendant 17 jours. Les partis
politiques comme le PCOT ou le PDP ainsi que les syndicats et les associations m’ont soutenue. Le docteur m’a demandé d’arrêter car mon état
de santé était trop dégradé et les leaders des partis et de l’UGTT de Tunis m’ont
dit d’arrêter car ils allaient arranger les choses. En novembre 2010 j’ai
arrêté ma grève de la faim et en décembre Mohammed Bouazizi s’est immolé. En
janvier 2011, j’ai décidé de faire un sit-in à l’UGTT avec ma mère qui est très
malade. Ça a duré une semaine et ensuite j’ai décidé de sortir et de faire des
réunions avec les gens qui m’avaient soutenue. Il y avait des manifestations
dans toute la Tunisie. J’ai dit « Ma demande est celle de toute la
Tunisie, je veux être avec les autres ! ». Le 12 janvier j’ai pris la
parole dans une manifestation devant les chômeurs et un ami avocat m’a prévenu
que la police projetait de m’arrêter. Je suis donc restée avec cet ami pour ne
pas être arrêtée. Le 13 janvier il y avait une perturbation chez les policiers
donc il n’y avait plus ordre de m’arrêter. Le 14 janvier je manifestais à
Gafsa. »
Le 14 janvier 2011 Ben Ali s’enfuit. Quatre
jours après, Ghezala est recrutée au Ministère des finances.
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