Au
bout de la rue commerçante de Redeyef,
le portrait d’un des martyrs de 2008
nous accueille…
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Tawfik me conduit au local de l’association
du Forum (Forum Tunisien des droits économiques et sociaux) où se trouve également l’association féminine
« Les Mères des martyrs ». Le local associatif, tout neuf, détonne
avec son trottoir pas terminé donnant sur la petite rue en terre battue en
plein centre de Redeyef. A peine entrée, je tombe sur le bureau où un homme
s’affaire derrière un ordinateur tandis qu’une jeune femme passe un fax le
téléphone à l’oreille. Ici, on ne chôme pas ! L’espace est composé de deux
pièces : le bureau dans l’entrée et la salle de réunion juste à côté. On
me présente l’homme au bureau : c’est le « fameux » Adnan Hajji, responsable syndicaliste à
Redeyef, porte-parole du mouvement du bassin
minier de Gafsa,
emprisonné, torturé et pourchassé par la police de Ben Ali avec Bechir Labidi en
2008. La jeune femme affairée, c’est Meriem Tabbabi que Tawfik doit me
présenter. En plus de travailler pour le Forum Tunisien des
droits économiques et sociaux,
elle est chargée de la communication et des médias au
sein de l’association des mères des martyrs. Celle-ci, m’informe Meriem, a été
créée juste après la révolution en janvier 2011 mais l’association a été
déclarée il n’y a que deux mois. Il faut rappeler qu’un nombre important
d’associations tentaient malgré tout de se créer sous Ben Ali sans jamais
obtenir d’autorisation… Après la révolution, les demandes se sont bousculées,
sans compter les nouvelles créations. Lorsque je demande à Meriem si
l’association est composée de mères de martyrs, elle me regarde d’abord
interloquée. La réponse est négative. « Nous avons toutes des proches qui
ont été martyrs. Ici à Redeyef tout le monde se connaît. On a tous un cousin,
même lointain, qui a été emprisonné durant le mouvement de 2008… » Redeyef
a vu trois de ses jeunes hommes abattus par la police durant les manifestations
de 2008. Lorsque l’on visite la ville, on tombe très rapidement sur ce petit
monument au centre d’un rond-point, sur lequel les portraits des 4 martyrs (le
4ème étant de Gafsa) ont été installés remplaçant ainsi les panneaux
à la gloire de Ben Ali. Je demande à Meriem quel est le but de leur
association. « Le but est de réclamer en justice le statut de martyr aux
familles des jeunes hommes tués en 2008… et puis… continuer la lutte des
femmes ! On veut encourager les femmes à sortir dans la rue et à connaître
leurs droits : Droits au travail, droit à participer dans la société, dans
la vie politique, syndicaliste etc. Encourager aussi l’embauche des femmes. Il
y a davantage de femmes diplômées que d’hommes et avant la révolution, seules
les femmes du RCD (l’ancien parti de Ben
Ali, nda.) avaient du travail. Ces femmes sont encore dans l’administration
aujourd’hui… » Il faut savoir que les événements dramatiques de 2008 ont
permis aux femmes de Redeyef de sortir pour la première fois de leur vie dans
la rue. Investir l’espace public pour ces femmes fut en soi une petite
révolution : la plupart ne travaillent pas ; avec près de 40% de
chômage les familles privilégient le travail des hommes, plus rémunérateur,
bien que les femmes aient atteint aujourd’hui un niveau d’études équivalent voire
supérieur à leurs confrères masculins. Lorsqu’au printemps de 2008, 300 hommes
de Redeyef ont été arrêtés, c’étaient plus de 300 familles qui étaient touchées
dans cette petite ville comptant 26 000 habitants. Le sort des femmes et
des familles est économiquement lié à celui des hommes.
Dans
le local du « Forum », sur l’affiche du Comité national de
soutien aux habitants du bassin minier on peut lire : « Halte aux souffrances des femmes du bassin minier » |
Un
militant du forum m’explique : « C’était aussi stratégique de faire
sortir les femmes pour la libération des prisonniers, on sait que la police ne
va pas taper les femmes et les enfants… ». Certes, mais ne nous méprenons
pas. Si effectivement, la police n’a pas violenté les femmes durant ces
manifestations, ce n’est sûrement pas par « galanterie », mais bien
plutôt à cause d’un état de fait. Aucune femme n’a un rôle déterminant dans les
mouvements, ce sont les hommes qui ont les postes clés (secrétaires syndicaux,
porte-paroles etc.), ce sont donc eux qui ont subi les pires répressions et
tortures. Les femmes, elles, ont subi néanmoins de violentes pressions
psychologiques (en plus des dégâts économiques) surtout celles qui étaient
mariées aux « meneurs », comme la femme d’Adnan Hajji par exemple qui a
été arrêtée et interrogée durant deux jours. « Elle a fini par signer un
engagement de ne plus sortir manifester… Mais elle a quand même continué ».
Il y a cette militante des droits de l’homme, Zakia Dhifaoui,
arrêtée au domicile de Jomâa Hajii et interrogée elle aussi. Il y a également cette journaliste militante,
arrêtée et emprisonnée… Bref, les exemples ne manquent pas de femmes qui ont
subi, dans une moindre mesure, la répression du régime de Ben Ali. « La
situation sociale des femmes est importante mais d’autres facteurs sont à
prendre en compte. Les femmes pauvres ne comprennent pas les discours
politiques. Il leur faut d’abord manger, s’occuper de la santé et ensuite pas à
pas les sensibiliser. Il leur faut connaître leurs droits mais également leurs
devoirs. Par exemple, leurs devoirs envers leur pays, notamment à travers la
responsabilité citoyenne et leurs droits concernant le travail, afin de ne pas
être exploitées. »
Meriem
et les treize membres de son association ont déjà réalisés des projets qui
s’apparentent à de l’éducation populaire : en juin 2011, elles créent avec
des enfants une pièce de théâtre racontant la révolution. Elles ont également
organisé une exposition de photographies des événements de 2008 au local de
l’UGTT de Redeyef. Les chants engagés chantés par les enfants font également partie
de leurs actions.
Une partie de l'équipe associative de l'association des Mères des martyrs |
Meriem
me montre une partie des statuts associatifs : Outre le fait de
« défendre les droits matériels et moral de la femme et lui accorder une
importance sur le plan social, économique, culturel et politique », les
statuts stipulent dans la rubrique « politique » : « Mettre
la femme à l’écart des tromperies politiques ». Cela en dit long sur la
façon dont sont perçues la politique et les pratiques politiciennes, domaine
dans lequel une majorité d’hommes ont excellé…
Nouvelles
entrantes sur la scène, les femmes voudront-elles exercer une manière de faire
de la politique différente ?
Sans être à l’abri des
dérives du pouvoir et de la corruption (là aussi des exemples existent telle
les Leila Trabelssi), en soi pas forcément meilleures que les hommes, les
femmes ont l’avantage, en ayant été écartées du pouvoir, d’avoir les
« mains propres ». Aujourd’hui, fortes des exemples à ne pas suivre
de leurs congénères masculins, c’est à elles de se prendre en main et de créer
ce que sera la Tunisie de demain : Libre, démocratique et égalitaire. A
Redeyef, elles ont déjà commencé…
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