Aujourd’hui est le dernier jour de cours pour les écoliers et les étudiants. Tawfiq, professeur de philosophie à Redeyef et membre de l’association Forum Tunisien des droits économiques et sociaux me fait visiter la ville. Il me conduit jusqu’au lycée où il enseigne car juste avant les vacances du printemps, l’établissement a organisé une petite fête pour les lycéens. « Avant la révolution, sous Ben Ali, c’était interdit… » En pénétrant dans la cour ensoleillée, je suis frappée de voir que les filles et les garçons (surtout les plus âgés) ne se mélangent pas. Pourtant, les écoles sont mixtes depuis longtemps en Tunisie (héritage encore une fois du Code du statut Personnel instauré par Bourguiba). Au fond de la cour, groupés contre le mur, les adolescents les plus âgés regardent en rigolant avec timidité ou envie un de leur camarade scander au micro un rap façon karaoké. Le jeune garçon mime avec aplomb et assurance les chanteurs de rap que l’on voit à la télé, à tel point qu’au premier regard j’ai cru assister à un concert de jeunes rappeurs du coin. Sur le mur perpendiculaire sont alignés des bancs sur lesquels sont sagement assis les adolescentes et les jeunes garçons pas encore entrés dans la puberté. Tous sont calmes et disciplinés malgré la musique qui hurle en faisant crépiter les baffles disposées au milieu de la cour. L’apprenti rappeur a terminé sa prestation et un jeune lycéen prend la relève en dansant un « break » dans le style 80’. Tandis que les adolescents font la démonstration de leurs talents, tout au fond de la cour, la musique ne semble pas perturber les jeunes adolescentes de l’atelier de peinture. Appliquées, sous l’œil mi-admiratif, mi-protecteur de quelques garçons, elles balancent des couleurs aux sons de la révolution. D’ailleurs le mot revient souvent dans les dessins, souvent accompagné des symboles de paix et de liberté. Mais c’est un dessin abstrait et violemment coloré qui attire mon regard. La professeur d’arts plastiques qui discrètement observe et conseille les jeunes peintres en herbe m’explique : « Au départ, c’est le noir, il n’y a pas de lumière, c’est la mort. Puis on va vers les couleurs, vers la lumière, c’est la vie. Jusqu’au ciel bleu, serein, c’est le bonheur. » Finalement, bien qu’abstrait, ce dessin me semble représenter le mieux la révolution. Après la sombre dictature de Ben Ali, la mort et les morts, jaillit une explosion de vie vers la liberté, les couleurs, l’expression de tout un peuple dont les couleurs expriment la diversité. Le ciel bleu serait-il cette promesse de bonheur tant espérée par les acteurs de la révolution ? Les rêves de la jeune élève, absorbée dans la finalisation de son œuvre, semblent intimement imbriqués dans les aspirations du peuple tunisien. Lorsque je lui demande l’autorisation de faire son portrait, son regard mutin en dit aussi long que sa peinture.
Le 14 janvier 2011, le peuple tunisien faisait chuter le dictateur Ben Ali, au pouvoir depuis 1987. La révolution tunisienne a provoqué un vent de liberté contestataire dans le Maghreb et Machrek amenant « le printemps arabe ». En revenant régulièrement dans ce pays depuis la révolution, je cherche à saisir le quotidien et les aspirations de celles et ceux qui ont fait cette révolution. Ce blog est un journal de voyage politique qui fait écho à l’expression libérée d’un peuple.
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vendredi 16 mars 2012
Les couleurs
Aujourd’hui est le dernier jour de cours pour les écoliers et les étudiants. Tawfiq, professeur de philosophie à Redeyef et membre de l’association Forum Tunisien des droits économiques et sociaux me fait visiter la ville. Il me conduit jusqu’au lycée où il enseigne car juste avant les vacances du printemps, l’établissement a organisé une petite fête pour les lycéens. « Avant la révolution, sous Ben Ali, c’était interdit… » En pénétrant dans la cour ensoleillée, je suis frappée de voir que les filles et les garçons (surtout les plus âgés) ne se mélangent pas. Pourtant, les écoles sont mixtes depuis longtemps en Tunisie (héritage encore une fois du Code du statut Personnel instauré par Bourguiba). Au fond de la cour, groupés contre le mur, les adolescents les plus âgés regardent en rigolant avec timidité ou envie un de leur camarade scander au micro un rap façon karaoké. Le jeune garçon mime avec aplomb et assurance les chanteurs de rap que l’on voit à la télé, à tel point qu’au premier regard j’ai cru assister à un concert de jeunes rappeurs du coin. Sur le mur perpendiculaire sont alignés des bancs sur lesquels sont sagement assis les adolescentes et les jeunes garçons pas encore entrés dans la puberté. Tous sont calmes et disciplinés malgré la musique qui hurle en faisant crépiter les baffles disposées au milieu de la cour. L’apprenti rappeur a terminé sa prestation et un jeune lycéen prend la relève en dansant un « break » dans le style 80’. Tandis que les adolescents font la démonstration de leurs talents, tout au fond de la cour, la musique ne semble pas perturber les jeunes adolescentes de l’atelier de peinture. Appliquées, sous l’œil mi-admiratif, mi-protecteur de quelques garçons, elles balancent des couleurs aux sons de la révolution. D’ailleurs le mot revient souvent dans les dessins, souvent accompagné des symboles de paix et de liberté. Mais c’est un dessin abstrait et violemment coloré qui attire mon regard. La professeur d’arts plastiques qui discrètement observe et conseille les jeunes peintres en herbe m’explique : « Au départ, c’est le noir, il n’y a pas de lumière, c’est la mort. Puis on va vers les couleurs, vers la lumière, c’est la vie. Jusqu’au ciel bleu, serein, c’est le bonheur. » Finalement, bien qu’abstrait, ce dessin me semble représenter le mieux la révolution. Après la sombre dictature de Ben Ali, la mort et les morts, jaillit une explosion de vie vers la liberté, les couleurs, l’expression de tout un peuple dont les couleurs expriment la diversité. Le ciel bleu serait-il cette promesse de bonheur tant espérée par les acteurs de la révolution ? Les rêves de la jeune élève, absorbée dans la finalisation de son œuvre, semblent intimement imbriqués dans les aspirations du peuple tunisien. Lorsque je lui demande l’autorisation de faire son portrait, son regard mutin en dit aussi long que sa peinture.
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