Zakia
Dhifaoui est l’unique femme à
avoir été arrêtée et emprisonnée lors des manifestations du bassin minier à
Redeyef en 2008. Cette professeure d’histoire géographie originaire de Kairouan
et militante a suivi et soutenu les événements du bassin minier de Gafsa depuis
le début. Co-fondatrice du Forum Démocratique pour le travail et les libertés
(Etakatol) et du journal « Mouatinoun » dans lequel elle a écrit des
articles très critiques envers le régime de Ben Ali, elle fut très vite mise
sous contrôle policier essentiellement à cause de ses textes engagés. En
juillet 2008, alors qu’elle participe à une manifestation des femmes de Redeyef
pour l’obtention de la libération des prisonniers du bassin minier, elle est
arrêtée et accusée d’être l’organisatrice de la manifestation. Selon elle,
c’est d’abord à cause de ses écrits qu’elle a subi cette arrestation suivie de
la peine la plus lourde parmi les autres prisonniers. Arrêtée dans la maison
d’une amie le 27 juillet 2008, elle sera libérée sous condition le 7 novembre de la même année, journée de la
prise de pouvoir de Ben Ali. Elle continue aujourd’hui à déranger en racontant
son arrestation et en clamant les attouchements sexuels, menaces de viol et
violences physiques et psychique qu’elle a subies lors de sa garde à vue. A ce
jour aucun policier n’a été jugé et l’appareil judiciaire est resté identique
après la révolution. Zachia n’a pas porté plainte. Elle le fera « le jour
où elle pourra avoir confiance en la justice de ce pays ».
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Redeyef |
Je fais le voyage avec Zakia, de
Kairouan où elle vit jusqu’à Redeyef à 240 km. Ce trajet, elle l’a fait seule
de nombreuses fois en 2008. Nous prenons le car de 8h00 qui est climatisé, un
détail essentiel en cette saison où la température dépasse les 40 degrés.
Habituée à « la négociation à la tunisienne », elle arrive à nous
obtenir des places debout. Le car est bondé, tous les sièges sont pris. Il nous
faut patienter jusqu’aux prochains arrêts pour espérer gagner une place assise.
Un homme me cède gentiment sa place. Je le vois discuter amicalement avec
Zakia. Lorsqu’il descend du car, elle m’explique : « C’est un ancien
élève à moi ! Je l’ai eu dans ma classe. Maintenant il est policier. Tu te
rends compte, il aurait pu être parmi ceux qui m’ont arrêtée et maltraitée !
Je le lui ai dit mais il m’a répondu que si ça avait été le cas, il aurait tout
fait pour que l’on ne me fasse pas de mal. Tu comprends, lors d’examens je l’ai
surpris en train de tricher mais je ne l’ai pas dénoncé. J’ai juste jeté sa
feuille et lui ai demandé de recommencer. » Du jour au lendemain un ancien
élève peut devenir le bourreau sans limites de son professeur pour un simple
zéro. Cette idée me laisse perplexe. Je pense aux frères ennemis, ou plutôt ici
aux frères et sœurs ennemis. Une Tunisie dans laquelle au sein de chaque famille chacun pouvait se retourner conte l'autre. Un pays divisé par un fou de domination
où chaque silence devenait complice des pires horreurs.
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Zakia, Boubaker Boubaker ancien prisonnier et Ghassen Labidi arrêté en juin 2008 |
Lorsque nous arrivons à Redeyef et
que nous nous installons au café près de l’UGTT, Zakia retrouve ses anciens
compagnons de prison qui viennent la saluer avec joie et respect. Dans cet
univers masculin, elle est l’une des rares figures féminines à avoir partagé le
sort des hommes les plus courageux. D’ailleurs, ils n’hésitent pas à me faire
l’éloge de Zakia devant celle-ci qui reçoit humblement ces marques
d’admiration : « Elle est notre modèle, elle est plus courageuse
qu’un homme ! ». Et d’évoquer ce jour où Zakia, en pleine garde à
vue et rouée de coups, s’est mise à chanter à tue-tête des chants
révolutionnaires, reprise en chœur par les hommes de la cellule voisine…
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A gauche Abdelaziz Ahmadin ancien prisonnier avec Zakia, Kamel Alaimi syndicaliste et Zakia au café près de l'UGTT. |
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