Sonia et Monia, les deux jeunes ouvrières syndicalistes (voir billets n° 11 : La délégation et 21 : L'usine) ont également largement participé aux élections. A Ben Arous, banlieue sud et populaire de Tunis, elles ont milité pour Le Parti du Travail Patriotique et Démocratique (PTPD) « C’est le parti de notre syndicat l’UGTT » affirment-elles. Elles ont été distribué des tracts dans les usines, les bus, les magasins des quartiers de Mhamdia mais selon elles, ce parti a commencé sa campagne trop tard. Au moins, elles auront réussi à convaincre certaines femme « de mettre une croix devant un parti, n’importe lequel » et de s’informer sur la politique en regardant la télé, afin « de participer ». Leur recommandation : « Regarder les buts de ce parti et voir s’ils sont malveillants ou bienveillants envers la femme. ». C’est déjà un début…
Monia dénonce les méthodes d’Ennahda,
le parti islamiste |
Concernant les résultats des votes, les deux amies sont unanimes : « Nous ne sommes pas contente qu’Ennahda ait gagné car ils sont contre la liberté de la femme, pour la polygamie etc. … Même si Ghanouchi dit qu’ils ne vont rien changer, on attend de voir… Et s’il ne tient pas ses promesses, ce sera simple : Dégage !!! » s’exclament-elles en riant avec un geste de la main. En parlant des femmes, elles ajoutent : « Il faut être solidaires, garder notre liberté ». Difficile dans un pays aussi divisé : « Les femmes cultivées sont contre Ennahda, mais la femme non cultivée vote pour, car elle ne comprend pas la politique de ce parti. » Le jour du vote, Monia explique qu’elle a vu des militants du parti islamiste distribuer des autocollants à certaines femmes : les vieilles, les femmes pauvres et illettrées. « Une femme m’a même dit qu’ils lui avaient proposé 30 dinars ! » Monia, l’air malicieux fouille dans son sac, elle m’explique avec fierté qu’elle a réussit à prendre l’un des autocollants distribués par Ennahda. Je me dis que le foulard qu’elle porte a dû lui faciliter la tâche car les militants d’Ennahda nient publiquement ces actions illégales. Elle me montre avec fierté la « preuve » qu’elle a réussit à garder. « Ils disaient aux femmes qui ne savent pas lire de mettre une croix à la 74ème place, poursuit-elle, certains leur écrivaient même le numéro sur la main. Mais c’est illégal, même si beaucoup de gens ont voté pour ce parti, ce sont des méthodes non démocratiques !» Monia et Sonia s’interrogent : « D’où vient leur argent ? Si l’Amérique a donné de l’argent, pour quelle raison ? Veulent-ils le bien de notre pays ? Il reste un point d’interrogation… Ben Ali était le petit chien des Etats-Unis car ils prêtent beaucoup d’argent. »
Les deux jeunes femmes n’ont pas fini de s’interroger sur le monde complexe du pouvoir et des intérêts de nations impérialistes comme les Etats-Unis. « Ghannouchi a même distribué des repas aux pauvres… » Et les « pauvres » constituent une forte partie de la population… Pourtant, ces méthodes ne sont pas si éloignées de ce qu’a connu le pays avant la révolution - c’est-à-dire rappelons-le il y a 9 mois ! - lors des votes « à 99,99% » pour Ben Ali. Monia raconte son témoignage des élections au temps du dictateur : « Un jour, j’ai participé au bureau de vote. A la fin des votes, une fois que le bureau a été fermé, on nous a obligés à changer les bulletins de vote… » Sonia, elle, avait participé comme simple votante : « J’avais pris la feuille verte et l’on m’a dit de mettre la rouge dans l’enveloppe… » Nous comprenons pourquoi elles n’ont plus jamais revoté jusqu’à ce jour du 23 octobre. « Je sens que je suis un être humain pour la première fois ! » me dit Sonia avec émotion « C’est un vrai vote ! Même si mon parti n’a pas gagné, je suis très contente d’avoir voté. Il ne faut pas oublier les gens qui sont morts le 14 janvier. Il faut travailler pour les objectifs de la révolution. »
Monia relativise la victoire d’Ennahda : « Certaines idées ne sont pas mal, si Ennahda respecte son projet, ça va, mais s’il change et applique l’islam des islamistes ce sera une catastrophe pour la Tunisie. Je suis musulmane et fière de cela, mais si l’islam limite ma liberté, je suis contre. J’applique ma religion comme je le souhaite et l’islam ne dit pas que les femmes doivent rester à la maison… » Je lui demande si les interprétations diffèrent : « Le coran est clair mais on peut jouer avec les mots, avec le texte… » Monia et Sonia tentent de me donner un exemple mais les difficultés de langage m’empêchent de noter les subtilités des différentes interprétations possibles. Mais j’ai bien compris que chacun peut, comme pour tous les textes sacrés, interpréter les choses à sa manière… Monia est néanmoins bien déterminée concernant sa liberté : « J’ai choisi moi-même de porter le foulard, mais le jour où Ennahda me l’imposera, je l’enlèverai ! ». A bon entendeur…
« La religion n’est pas notre problème pour le moment, il faut d’abord s’occuper du chômage, du travail… La Tunisie aujourd’hui est très pauvre, Ben Ali a volé l’argent du pays. Comment va-t-on sortir de cette crise ? Et si on emprunte de l’argent aux autres pays, comment va-t-on rembourser la dette ? » reprend Sonia, soucieuse.
Persévérantes, les deux amies ont reçu des insultes à cause de leurs activités politiques. Interviewées dans la rue par la télévision Aljazira, elles se sont fait insulter par des passants rassemblés autour de la caméra, lorsqu’elles ont évoqué la liberté de la femme. Heureusement d’autres personnes ont pris leur défense mais la célèbre chaîne a dû arrêter l’interview… Les deux amies ont pu militer pour leur parti et aller voter malgré les découragements de leurs employés et de l’entourage. Juste avant les élections, un chauffeur de taxi leur a même dit « Après le 23 octobre, vous allez rentrer à la maison ». Et elles sont toujours là, dans ce café de l’avenue Bourguiba :
« Malgré tout ça on est là et on continue la lutte ! »
Pour lire mon article consacré à la lutte de Sonia et Monia, cliquez ici
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